La ballade de Simone – Petit Montparnasse
48, année érotique ; 49, année philosophique et critique ? L’une ne va pas sans l’autre pour Simone de Beauvoir, qui, au moment d’écrire Le deuxième sexe, son essai capital, est raide dingue amoureuse de l’écrivain américain Nelson Algren (l’auteur de L’homme au bras d’or, adapté au cinéma par Otto Preminger, remember…). Et le lui dit. Passionnément. Fi des clichés rattachés à cette femme de tête, irrévocablement enturbannée dans l’ombre sourcilleuse de Sartre, son grand petit homme ! Simone pense et Simone aime : Simone est duelle, au fond et au minimum, elle qui ne veut rien tant qu’énoncer l’équilibre entre les sexes. De fait, entre 1947 et 1949, Simone vibre et Simone couche, sur le papier, les fondements de la pensée féministe du XXe siècle.
Or donc, la première belle idée de La ballade de Simone – spectacle délectable d’humour et d’intelligence – c’est d’avoir prolongé ce « double je » par la grâce narquoise de deux comédiennes, Michelle Brûlé et Anne-Laure Tondu. D’âge et de tempérament différents, elles sont pourtant épatantes de complicité et d’aisance ; tour à tour enfantines et profondes, voluptueuses et cérébrales. Car ainsi, fines et mutines, elles explosent mine de rien l’un des mythes que l’univers masculin aime à faire perdurer, à savoir… roulement de tambour… « l’ambivalence du mystère féminin »… Tada… Celui-là même contre lequel Simone, en son boudoir mais aussi en extérieur, s’est souvent insurgée.
CQFD ? Oui da, car la balade, le va-et-vient si l’on peut dire, entre sa correspondance amoureuse et les strates de son livre-somme (l’une et l’autre édités chez Gallimard), deviennent, pour le coup, réjouissants. Fluides, quand bien même la première éclaire parfois la seconde de façon surprenante. « Nelson mon mari […]. Je serai sage, je ferai la vaisselle […]. C’est une femme complète qui vous désire […] », écrit l’amoureuse « transatlantique ». « D’où vient que ce monde a toujours appartenu aux hommes ? […] Et d’abord qu’est-ce qu’une femme […] ? », s’interroge, frontale, révolutionnaire, la philosophe. Qui sait, cela étant, qu’elle s’inscrit dans la durée. De fait, elle choisira de lâcher Nelson son amour pour Sartre son « frère absolu » : « Ce que je suis actuellement, c’est Sartre qui m’a permis de l’être, jamais je ne pourrai l’abandonner ».
L’autre bonne idée de cette pièce en forme de traversée, c’est d’avoir accompagné ces sacs et ressacs des sentiments, ces flux et reflux de la pensée, par des chansons réalistes (dont une de Juliette Gréco) et de l’accordéon. Le ton est idéalement sentimental, mais toujours un peu crû, un peu dru aussi. En outre, ces virgules musicales permettent aux deux comédiennes-musiciennes de donner toute la mesure de leur talent ! 2010, année dynamique pour elles. Comme pour nous : La ballade de Simone dévoile in fine que les textes de Beauvoir, quelles que soient leurs facettes, n’ont pas vieilli. Aux trois, on dit… merci.
Ariane Allard
La Ballade de Simone
Adaptation de Michelle Brûlé
D’après Le Deuxième Sexe, La force des choses et Lettres à Algren.
Mise en scène Nadine Darmon
Avec Michelle Brûlé et Anne-Laure Tondu.
Jusqu’au 4 juillet 2010
Du mardi au samedi, 21h ; matinée dimanche à 15h.
Tarifs : 28 et 18 euros (moins de 26 ans, 10 euros les mardis, mercredis et jeudis).
Location au 01.43.22.77.74.
Petit Montparnasse
31 rue de la Gaité
75014 Paris
Métro Gaité ou Edgar Quinet
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