« Singspiele » : Maguy Marin, le portrait et le mouvement
Singspiele De Maguy Marin Avec David Mambouch Scénographie de Benjamin Lebreton Lumière d’Alex Bénéteaud Création sonore de David Mambouch Son d’Antoine Garry Du 26 mai au 7 juin 2014 (relâche du 28 mai au 1er juin et le 4 juin) Tarif : 22 € Durée : 1h Théâtre de la Cité Internationale |
Qui n’a jamais rêvé de pouvoir faire l’expérience du monde à travers le vécu d’un autre ? Dans Singspiele, un homme change d’identité aussi souvent qu’il veut, de quidam en vedette, de comédienne en statue romaine, de paysan en jeune fille… Sur un rythme lancinant, il nous entraîne dans un rituel troublant.
Le Singspiel, dans son acception la plus précise, est une forme d’opéra apparue au XVIIIe siècle, faite de Lieder et de théâtre parlé, souvent légère et féerique comme chez Mozart, où des transformations de personnages créent des coups de théâtre. Si Maguy Marin s’approprie ce terme, on peut y voir tout son esprit philosophique et militant, doublé d’une ironie fine. Petite forme légère, itinérante et populaire, le Singspiel fut créé pour se démarquer de l’art de la cour. Et en effet, ce solo porté par un excellent David Mambouch est la forme la plus sobre, la plus concentrée créée par Marin depuis longtemps. Au Théâtre de la Cité internationale, voilà un mur de fond et trois ensembles de vêtements qui y sont accrochés. Lentement, très lentement, l’homme va changer d’identité. Une par jour, peut-être. Devant son visage, juste une photo en noir et blanc. Il s’arrache les faciès telles des feuilles d’un calendrier. Le visage ! C’est lui qui nous détermine au regard de l’autre, plus encore que nos habits et nos habitudes. La preuve : Mambouch peut très bien enlever une feuille de plus, arborer une identité nouvelle, sans se changer. Et pourtant, un changement d’attitude, de gestuelle suffit pour donner un sens nouveau et différent à son corps et son costume. Maguy Marin, chorégraphe révoltée et résistante, y cache un message, naturellement. Message humaniste et républicain, ça va de soi. Message poétique aussi. Les deux se rejoignent dans ce lien invisible entre tous les humains ici évoqués, ce lien que l’on ressent d’autant plus fort qu’il entre en phase avec nos phantasmes intimes. Mais cette manière d’incarner tous les milieux sociaux, les sexes, les époques et les peuples en même temps est une image clé de notre temps, à l’ère de la « mondialisation » et des identités virtuelles. Maguy Marin n’a-t-elle pas changé d’identité artistique plusieurs fois au cours de sa carrière ? Depuis longtemps, cette fille de républicains espagnols fait preuve d’une sulfureuse irréductibilité, surtout depuis la création de Umwelt (2004) et Ha ! Ha ! (2006), donnant à son œuvre un tournant ouvertement politique. Mais en même temps est apparue une polémique autour de l’apparente disparition de la « danse » de ses pièces, et on pourrait bien discuter à nouveau pour savoir si Singspiele est une pièce de « danse » ou autre chose. La position de la chorégraphe est aussi limpide que radicale : « Je me considère aujourd’hui comme une artiste sans étiquette, mais en même temps je veux me réapproprier ce terme de chorégraphe, puisque je travaille avec les corps, le temps et l’espace. Et dans mes spectacles, il y a des danseurs. Pas exclusivement, mais pourquoi est-ce que le fait de faire de la danse serait limité à des mouvements déjà repérés ? Il faut créer des œuvres non digérables dans la masse. Au risque de se voir confronté à des situations comme celles qui nous sont arrivées avec Umwelt (Environnement) ou Turba où des spectateurs qui ne digèrent pas la matière proposée nous le font payer en devenant violents. » Oui, il est arrivé que des spectateurs agressent les danseurs et Maguy elle-même. Et ça tient plus au rapport très tendu avec le son qu’aux propositions chorégraphiques. Cette présence sonore est loin d’être agressive. Elle l’était une seule fois, dans Umwelt et elle se fait très discrète dans Singspiele. Ça joue avec le Lied allemand, ça chantonne, tout doucement, à peine perceptible. Rien n’y est laissé au hasard, tout fait sens, les tempi gestuels et sonores interagissent de façon concertée et complexe, toujours en mouvement, jamais totalement saisissable, toujours mûs par la même musicalité enfouie et mystérieuse qui sous-tend chacune de ses créations. Maguy Marin est une vraie combattante au service de l’intégrité psychique et physique de l’individu, qui centre son engagement sur l’humain, sans oublier le politique : « L’engagement de l’artiste est la force qui permet de ne pas oublier. À un moment de l’histoire où le capitalisme se donne l’air d’avoir gagné sur tous les fronts, il y a pourtant des résistances multiples et diverses qui font que le monde ne va pas se laisser faire. Les artistes sont là pour donner du courage à ceux qui veulent changer le monde. Voir un spectacle ou une exposition peut conférer l’énergie nécessaire pour résister, dans le sens d’une résistance non pas contrainte, mais vraiment active. Pour le dire avec Benasayag : résister, c’est créer. » Remplacée à la direction du Centre chorégraphique national de Rillieux-La-Pape (Lyon), elle travaille de nouveau dans son lieu de naissance, Toulouse. Et elle en est heureuse : « J’ai toujours changé de ville après un certain temps, mais je n’avais pas envie de passer à un autre CCN. Ce qui m’intéresse est de me confronter de nouveau à la façon de travailler d’une compagnie indépendante. Quelle est la marge de liberté, quel est le rapport au travail ? Et un jour, il y a eu un appel de la ville de Toulouse, quand nous y étions en tournée, l’an dernier. Toulouse est une ville en plein mouvement, effervescente et amicale. » Thomas Hahn [Visuels : B. Lebreton/S. Rouaud] |
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