Kurô Tanino invité au Festival d’Automne, pour une pièce de théâtre intense et réussie
Kurô Tanino, talentueux metteur en scène japonais, est une nouvelle fois invité au Festival d’Automne. Sa pièce La Forteresse du sourire a bouleversé le public du Théâtre de Gennevilliers. Elle est à l’affiche jusqu’au dimanche 28 novembre.
Bruit de moteur. Les vagues, les mouettes. C’est l’obscurité.
Le piaillement d’oiseaux annonce la levée du jour : face à la Mer du Japon, une “vieille bicoque” abrite deux minuscules appartements séparés par une cloison.
Deux lieux de vie riches en contraste
Takeshi, un pêcheur d’une cinquantaine d’années, entre joyeusement avec ses camarades. Dans une ambiance très animée, ils préparent un repas et certains s’installent à même le sol. Parmi les rires, les discussions portent sur les femmes et l’amour “voué à l’échec”. A l’annonce des horoscopes à la télé, c’est l’effervescence : “Oh, monte le son !”
Le lendemain, la famille Fujita emménage dans l’appartement mitoyen. Une vieille dame voulait vivre près de la mer. Elle est alitée. Son fils, un employé de bureau, se dévoue et l’aide pour ses mouvements quotidiens. Très vite, il est épuisé. Il sollicite sa fille pour être relayé.
Elle le rejoint, son téléphone portable à la main, très ennuyée mais résignée. Elle ne parle pas à sa grand-mère, comme sidérée par son comportement incongru, peut-être provocant.
Deux lieux de vie riches en contraste se déroulent en parallèle. Les voisins ne se sont toujours pas croisés. Pendant une soirée, Monsieur Fujita va se présenter aux pêcheurs. Il est dans la retenue, plutôt gauche. L’accueil est chaleureux : “Vous êtes le bienvenu même si c’est cradingue !” Un repas à base de poissons est partagé et au milieu des éclats de rires, Monsieur Fujita confie son étonnement : “Vraiment, je vous envie. J’aimerais passer ma vie à rire avant de mourir.”
Un théâtre humaniste
Près d’une lampe de chevet, il lit à haute voix Le Vieil Homme et la Mer d’Ernest Hemingway : “Mais il pensait toujours à la mer au féminin, cette mer prodiguant ou non ses grands bienfaits, et si elle se montrait violente ou mauvaise, c’était qu’elle ne pouvait s’en empêcher.” Tout à côté, les dialogues absurdes d’un western spaghetti se font entendre ; ils permettront pourtant une discussion émouvante.
Le temps s’écoule avec des jeux de lumière, des silences, de l’agitation. Le décor de ces maisons pauvres est magnifique et immersif. La nature est très présente, le vent, la pluie, les intempéries. Elle semble rythmer l’humeur des personnages.
La folie rôde et fait irruption, elle pousse à bout jusqu’à l’effondrement. Pourtant, des gestes de tendresse sont perceptibles.
C’est l’horoscope ! Les pêcheurs écoutent attentivement, puis se regardent : “Ne jugez pas les autres à leurs physiques, dialoguez !”
Après une bagarre et du vacarme, une ambiance morose envahit l’appartement du pêcheur. Le matin, il interroge son jeune camarade : “C’est triste d’être seul, non ? (…) Bien sûr que c’est triste !”
L’humour décalé permet de libérer les tensions. On passe des larmes à de grands éclats de rire. Par des petits riens, ces gens humbles parviennent à des moments de joie. Ils abritent en eux une forteresse du sourire.
Kirô Tanino propose un microcosme : deux pièces symétriques où fourmillent des histoires, des existences fragiles. Il révèle un théâtre humaniste, poignant. Ce dramaturge est un des représentants de la nouvelle scène japonaise. Artiste transdisciplinaire (peinture, sculpture…), il est psychiatre de formation et vient d’une famille de psychiatres. Il avait fondé une compagnie théâtrale pendant ses études de médecine et cette vocation a fini par le rattraper. Son théâtre est une œuvre d’art intense qui valorise l’individu et le collectif, avec bienveillance et émotion.
Fatma Alilate
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