“Jours de joie” à l’Odéon : un spectacle lumineux
Au cœur de la rencontre essentielle entre l’auteur norvégien Arne Lygre et le metteur en scène Stéphane Braunschweig, cette création en français témoigne de la vitalité lumineuse d’une pièce en miroir total à notre société. Mise en scène et acteurs, avec en particulier la présence magnétique de Virginie Colemyn, participent de manière heureuse à la réussite du spectacle.
Rencontres fortuites
C’est l’histoire de la rencontre prévue entre une mère, campée par Virginie Colemyn, magistrale, et sa fille, superbe Cécile Coustillac, partie vivre et travailler avec son mari à l’étranger. Un superbe banc blanc est installé pour les accueillir, et tout autour une mer de feuilles aux couleurs roussies par l’automne transfigure l’endroit choisi par la mère. « Je suis simplement passée par là un jour, là-haut sur la route, et j’ai vu ce banc ici, en bas, au bord de la rivière, et alors je me suis dit que je devais m’y arrêter un peu, et depuis j’y suis revenue encore et encore. » Ainsi parle la mère, dans une simplicité, une fluidité du langage qui font de l’auteur un amoureux de l’échange oral. D’ailleurs, quand les personnages s’annoncent et débutent une scène, le discours théâtral se mêle au récit, et les personnages se nomment à la troisième personne pour présenter ce qu’ils vont dire ou penser. Ce mélange entre discours direct et indirect crée tout d’abord de la confusion, mais ensuite nous signifie bien que nous sommes dans une création théâtrale, que le langage est performatif, et qu’il permet aux personnages de s’incarner au présent sur le plateau, ici et maintenant.
Et conflits
Derrière l’échange anecdotique des retrouvailles mère/fille va poindre, bien entendu, les germes des conflits et de la discorde. On comprend vite que la mère, trop aimante et trop possessive, ne supporte pas le mari de sa fille, et que ce mari, pièce rapportée dans cette famille, révèle la pierre d’achoppement de cette relation. Que le fils, Aksle, joué par Pierric Plathier qui joue aussi son ami David dans la seconde partie, refuse les codes conventionnels de la famille en avouant son homosexualité et son désir de partir loin de ses proches. Soudain, une femme déboule, bouleversante Chloé Réjon, prête à s’effondrer parce que son ex-mari, dont elle vient de divorcer, lui manque trop. L’ex-mari, joué par l’épatant Alexandre Pallu, vient donc pour leur dernier rendez-vous pleine de colère et de ressentiment. La scène de ménage, avec colères et pleurs, alors que l’ex-femme lui avoue attendre un enfant de lui, se déroule comme sur un terrain de jeu, devant le banc où sont assises la mère et la fille. Qui vont finalement inviter la femme à partager le banc. La réussite du spectacle tient d’abord au dynamisme de ces échanges qui circulent d’un personnage à l’autre, connu ou inconnu, et aux liens qui vont se créer malgré les personnages.
Liens
Désir, rejet, possession, égoïsme, jalousie, rivalités, amour et haine, les échanges des personnages disent tout de nos vies, avec une simplicité de situations que les acteurs incarnent généreusement, chacun interprétant un deuxième personnage. Dans cet espace chaud des maisons norvégiennes, que la brume des cieux et la blancheur des paysages patinent de douceur, un veuf (Jean-Philippe Vidal), un orphelin de mère (Grégoire Tachnakian), une soeur, une voisine (Lamya Regragui Muzio) vont percuter sans forcément le savoir le moi d’un autre personnage, avec des mots qui sonnent comme des balles de billard. Chacun est seul, mais a besoin des autres. Chacun possède, comme chez Pirandello, « sa vérité », mais doit pouvoir comprendre celle des autres. La mise en scène attentive et délicate de Stéphane Braunschweig nous révèle ce subtil jeu de pistes et cette instabilité qui fait de nous des êtres vivants.
Hélène Kuttner
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