Jeunesse sans Dieu au Théâtre de la Bastille
Jeunesse sans Dieu Roman de Horvath Adapté par Marie Garrel-Weiss et François Orsoni Mise en scène de François Orsoni Avec Brice Borg, Bert Haelvoet, Thomas Landbo, Estelle Meyer, Bernard Nissille… Du 3 au 30 mars 2014 Durée : 1h45 Tarifs : de 14 à 24 € Théâtre de la Bastille |
Du 3 au 30 mars 2014 L’étrangeté du roman de Odön von Horvath trouve dans cette adaptation scénique un écho qui se veut fidèle mais qui déroute les spectateurs, car le plateau exigerait une dimension supplémentaire pour être totalement convaincant. Le roman paru en 1937 dépeint l’histoire d’un professeur et de sa classe d’adolescents dans l’Allemagne nazie. Désabusé et revenu de tout après les horreurs de la Première Guerre mondiale, le professeur, guetté par l’alcoolisme, s’adresse aux jeunes qui lui font face sans guère espérer qu’ils reprennent le flambeau d’une forme d’humanisme. D’ailleurs, quand il tente simplement de s’opposer au racisme affiché de l’un d’eux à l’égard des « nègres », il a vite affaire au père qui le lendemain vient le menacer pour atteinte au sentiment de patriotisme. A l’occasion d’un voyage de classe qui ressemble plus à un entraînement militaire qu’à une sortie collégiale, les valeurs rationnelles qui ont déjà sombré s’enlisent encore un peu plus sous l’autoritarisme stupide et dangereux qui emporte tout sur son passage, les rêves adolescents, l’éveil à l’amour, le sens de l’amitié. Le monde adulte et le monde de la jeunesse coulent tragiquement dans le fascisme ambiant qui façonne les esprits. Le professeur ne cherche plus à lutter contre ces dérives naissantes, il préfère se retrancher et attendre une possibilité d’évasion. Un meurtre va venir jeter une sorte d’ultime possibilité de sursaut des esprits et, tandis que les plus folles accusations commencent à poindre, une forme de justice se dessine, comme si le hasard se mêlait de rétablir un peu de vérité. Pour ce texte de toutes les désillusions, l’adaptation de Marie Garel-Weiss et François Orsoni se déroule dans un dispositif scénique à trois côtés, un piano dans le fond et les comédiens s’asseyant au plus près des spectateurs sur des bancs. Le metteur en scène François Orsoni choisit de mêler des accents allemands et flamands, emportant les mots dans une sorte de diction floue semblable à la démarche générale. Car c’est de cela qu’il s’agit, la perte de contours, de repères, de lignes distinctes. L’allure du professeur est nonchalante et les épisodes se succèdent avec des liens vagues et volontairement peu compréhensibles. Le délitement de la société allemande est recréé dans cette atmosphère confuse, traversée de moments burlesques très réussis, ainsi que de chansons accompagnées à la guitare et au piano avec un charme et une drôlerie également très étincelants. Mais c’est risqué de vouloir donner à sentir le manque de Dieu en reproduisant dans la mise en scène elle-même un manque, car au final la pièce souffre d’une absence, absence de gouvernail, de colonne vertébrale. Comme ce professeur dépité, la salle ne peut échapper à une réelle perplexité. Comme lui qui cherche refuge dans le fantasme, l’esprit du spectateur cherche à se raccrocher où il peut, une image qui passe, un son pour emporter l’imagination. C’est une option de similitude qui se défend, qui est même courageuse et ne cède pas à un artifice quelconque. On y palpe combien il est hélas facile pour une génération fragilisée de s’en remettre au premier maître venu, Hitler par exemple. L’angoisse et le malaise de civilisation sont restitués ainsi que la littérature de Horvath qui fut vite taxé de dégénéré par les nazis. Cependant, comme le professeur, on manque souvent d’appui. Peut-être faudrait-il oser rire plus largement pour se libérer durant le spectacle de cet invisible étau oppressant qui nous saisit malgré l’invention de belles bulles oniriques, que les comédiens habitent avec humour et piquent de fines flèches primesautières. |
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