Je suis le vent : radical et charnel
Deux hommes s’embarquent sur un bateau dans une mer agitée. La tempête amène la tragédie mais Laurel et Hardy nous sauvent du désespoir. Entre Beckett et Sarraute, Jon Fosse compose une fable métaphysique ou de grands enfants jouent à se faire peur. Tg Stan et Maatschappij Discordia s’unissent au Théâtre de la Bastille pour un moment singulier et fort.
Ils sont face à nous, assis sur des chaises avec leurs costumes sombres et leurs souliers vernis. Des bouteilles d’eau et de bière trônent à leurs pieds, la conversation s’engage entre ces deux amis qui se retrouvent après une longue absence. Damiaan De Schrijver, carrure imposante et rire jovial, porte la barbe fournie et les mains généreusement ouvertes. Son acolyte, Matthias de Koning, est aussi sérieux que Buster Keaton, le visage impassible et le discours hésitant. Que se racontent-ils ? Le goût du risque, du danger, du déséquilibre pour l’Un, attiré par l’abîme de la mer et les gouffres du vent. Les hommes et le bruit l’ennuient, mais en même temps les mots le trahissent comme des pierres trop lourdes. L’autre, terrien et pragmatique, ne cesse de l’interroger, de lui faire préciser sa pensée, ses désirs. Pourquoi cette détestation des autres ? Des mots qui trahissent ? Du bruit qui meurtrit ? Ou aller ? Comment s’explique cette béatitude de solitaire alors que la vie est grouillante, partout, et que le vin est bon ?
Les deux acteurs, magnifiques, déroulent les méandres de ces bribes de mots et de silence, d’hésitations et de moqueries, qui semblent tout droit sorties d’une oeuvre de Nathalie Sarraute pour la forme et de Samuel Beckett pour le fond. On fait semblant de lâcher les amarres, d’amarrer le bateau, de tanguer sur une mer déchaînée que la mort poursuit sans cesse. Vivre ou mourir, dormir peut-être ? Et voici qu’Hamlet, prince du Danemark, se retrouve sur cette mer de Norvège, jonchée en son fond de lourdes pierres grises. Les chaussures vernies des acteurs ne cessent de crisser sur le plateau, au rythme des images de film de Laurel et Hardy. On rit, car il ne faut pas sombrer et que la lumière se rallume pour une discussion enjouée avec les acteurs.
Hélène Kuttner
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