Jann Gallois et David Coria, une rencontre au sommet au Théâtre de Chaillot
"Imperfecto" © Luciano Rubio
Jann Gallois vient du hip hop et aussi de la musique classique, avec David Coria un des plus grands chorégraphes du flamenco, ils ont réuni leurs talents pour Imperfecto. Une pièce qui mêle humour et virtuosité mais ne se veut pas représentative du “geste parfait”.
Le duo était l’invité de la Cinquième édition de la Biennale d’art flamenco qui se tient au Théâtre de Chaillot depuis le 3 février jusqu’au 18 février. Il a conquis le public par une pièce surprenante et inédite.

“Imperfecto” © Luciano Rubio
“Le geste parfait”
Jann Gallois accueille le public de Chaillot en maîtresse de cérémonie, elle porte une longue robe pailletée. Son discours décalé dans un prologue en forme de comédie-théâtre fait rire le public. David Coria s’approche et lui donne une pomme, fruit symbolique qui est présent à plusieurs reprises dans la pièce. Impassible, Jann Gallois évoque “le geste parfait” défini par Gilles Deleuze. Il s’agirait d’un geste efficace, sans erreur. Mais pour la chorégraphe, trop de perfection amène à l’imperfection : “Ce qui est peut-être beau, c’est le sale (…). On avait envie d’être nous-mêmes, c’est fatiguant d’être parfaits.” Dans Imperfecto, ce sont des séquences qui vont se succéder en lien avec la thématique des sept péchés capitaux.
Jann Gallois et David Coria sont complémentaires dès leurs premiers mouvements, en formant un même corps. Il est son appui au sol et par les frappes des pieds, il s’accorde au chant de David Lagos et à la musique flamenca. Elle est le port altier – leurs bras et mains dessinent des arabesques.
Pendant cette soirée andalouse, la danse devient fougueuse et connaît aussi des moments d’accalmie, elle s’inscrit par sa richesse dans un “geste parfait”. Entre attractivité et répulsion, les danseurs vont l’un vers l’autre, s’éloignent. Le chant accompagné de la guitare de David Lagos s’intensifie en écho aux percussions. Lorsqu’il est seul sur scène, David Coria propose des solos de flamenco. Au moment musical du clavicorde – ancien instrument proche du piano -, les sonorités ont une résonance de l’ordre de l’intime. Les danseurs se rapprochent dans une gestuelle plus contemporaine.
Jann Gallois apporte sur scène un long collier qui bruisse et instaure un jeu sonore. Sous des tonalités de musique indienne, la danse se transforme en méditation. Sur un autre tempo, les danseurs se retrouvent reliés par le collier.

Jann Gallois © Laurent Philippe
Une rencontre, deux artistes
Une autre séquence s’annonce par les bascules des projecteurs des côtés latéraux du plateau. Dans une lumière tamisée, sur une chaise, Jann Gallois et David Coria créent des figures étonnantes par un jeu d’ombres et d’équilibre à l’esthétique remarquable. Les corps emboîtés l’un à l’autre tournent en osmose. La performance est applaudie par le public.
Le son est devenu jazzy avec de légères tonalités rock, le chanteur David Lagos et le percussionniste Daniel Suarez s’avancent dans un halo de lumière, bientôt rejoints par le pianiste Alejandro Rojas. Ils ont une pomme à la main et disent quelques mots : “Sexy, macho.” David Coria revient sur scène dans la longue robe pailletée portée en première partie par Jann Gallois : il-elle danse le flamenco avec grande maîtrise et humour, il-elle soulève sa robe et montre ses jambes. Jann Gallois qui était restée au fond de la scène réapparaît aussi déguisée en bonhomme Sumo, sous les éclats de rire du public. Dans une composition rigoureuse et sensuelle, les deux danseurs ne se quittent plus.
Jann Gallois et David Coria partagent dans cette pièce très dense leurs univers respectifs. Ils n’ont pas souhaité étaler leur technicité mais les deux danseurs relèvent de l’excellence. David Coria incarne la nouvelle scène du flamenco, il contribue à son renouvellement par différentes expérimentations de l’électro à la danse contemporaine. Jann Gallois qui a beaucoup de présence apporte d’autres influences. C’est à quinze ans qu’elle a appris le hip hop, en rejoignant des jeunes au Forum des Halles qui était un spot d’entraînement reconnu. Elle s’est émancipée de cette danse et connaît un parcours fulgurant d’interprète-chorégraphe.

David Coria © Eyal Hirch
Jann Gallois et David Coria ont formé un duo très complice. Les tableaux foisonnants et créatifs se sont succédé avec fluidité et des pointes d’humour. Les deux danseurs ont joué habilement de leurs “imperfections” en proposant des traversées étonnantes de la danse. Avec les musiciens, ils ont été ovationnés pour cette pièce Imperfecto dont c’était la première mondiale au Théâtre de Chaillot, dans le cadre de la Cinquième Biennale d’art flamenco.
Fatma Alilate
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