Isabelle Adjani troublante dans « Opening Night »
Dans un work-in progress qui oscille entre cinéma et théâtre, orchestré au fil des représentations par le metteur en scène Cyril Teste, la star incarne l’héroïne d’ « Opening Night », le film de Cassavetes avec Gena Rowlands, l’histoire d’une comédienne perdue. Entourée de Frédéric Pierrot et du jeune Morgan Lloyd Sicard, l’actrice s’offre au public dans sa fragilité et le mystère de sa vérité profonde aujourd’hui à Paris.
Aux frontières du cinéma et du théâtre
On a découvert le travail de Cyril Teste et de son collectif MxM en 2017 à l’Odéon avec « Festen », adapté du film culte de Thomas Vinterberg. Son usage de la vidéo tournée en direct et sa manière d’orchestrer les images hors plateau et sur scène, en multipliant les plans, venait bouleverser les codes de la représentation théâtrale. Le tournage et le mixage en temps réel brouillent les frontières en injectant de l’immédiateté, du présent tout au long du spectacle. Après le succès d’« Hamlet » à l’Opéra Comique, le metteur en scène revient au cinéma. Quoi de plus captivant que de travailler avec et pour Isabelle Adjani, décidée à retrouver le bonheur d’être en scène ! Elle qui, à 17 ans, fut la plus jeune pensionnaire de la Comédie Française en interprétant une inoubliable Agnès dans « L’Ecole des Femmes » de Molière.
Une actrice qui raconte toutes les actrices
Myrtle Gordon, une grande comédienne, est bouleversée par l’accident qui cause la mort de Nancy, une jeune fille de 17 ans venue spécialement pour la rencontrer et lui dire son amour, devant l’entrée des artistes, à la fin d’une représentation. Le lendemain, en coulisse, avant de rentrer en scène, Myrtle perd pied, avant de tomber dans un désespoir qui l’empêche de trouver un sens à la pièce qu’elle interprète, et plus globalement à sa vie. Cyril Teste n’a conservé du script originel que trois personnages, Frédéric Pierrot qui joue son partenaire et Morgan Lloyd Sicard le metteur en scène, tous deux amoureux d’Isabelle Adjani qui est Myrtle. Mais au fond, on se rend compte que l’histoire, la remise en question d’une comédienne, au milieu de sa vie, ses interrogations sur son métier, ses rapports avec les hommes et avec son public, n’est qu’un prétexte à l’interprétation, à l’appropriation qu’Isabelle Adjani fait de son personnage. D’autant que la jeune fille, Zoé Adjani qui apparaît en vidéo, est la nièce de l’actrice et lui ressemble de manière saisissante.
Pour Isabelle A.
« Opening Night », avec son cortège de préventions « ce n’est pas un spectacle » et de transgressions « ce n’est pas du théâtre codifié » apparaît donc bien, chaque soir différemment, comme un superbe hommage à Isabelle Adjani. Poursuivie par une caméra mobile qui inclut le public à l’écran et fait corps avec ses émotions, elle apparaît tout d’abord coiffée de son bonnet noir, la chevelure ébène et protégée par ses immenses lunettes, terrorisée par l’entrée en scène. Encouragée, malmenée, rudoyée par un jeune metteur en scène hystérique et fou d’elle, elle se plie tant bien que mal aux injonctions souvent contradictoires sans comprendre pourquoi elle est sur scène et ce qu’elle doit jouer. Le souvenir de la jeune fille tuée pour elle la fait ensuite basculer dans le naufrage d’une dépression, l’alcoolisme et la déconnection totale. Dans cette valse hésitation avec le désespoir, entre l’injonction de jouer et l’absurdité des conventions, Adjani flotte, tangue, louvoie, happant le réel comme un poisson privé de parole. Sa souffrance, son extrême fragilité appartiennent au personnage de Myrtle, mais avant tout à elle-même, errante parmi ses admirateurs, dans une incertitude permanente et une quête d’amour insurmontable. Belle et mystérieuse. Mythique.
Hélène Kuttner
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