Interview de Mickaël Winum, remarquable Dorian Gray au Ranelagh
Pour beaucoup d’amateurs de théâtre, découvrir Mickaël Winum au Ranelagh dans « Le Portait de Dorian Gray » subtilement adapté par Thomas Le Douarec, restera chose mémorable. La justesse de son jeu, la force et le mystère qu’il apporte au rôle titre, disent à quel point cet acteur de vingt-sept ans est promis à un bel avenir. Une certitude nullement démentie par une rencontre dévoilant une personnalité qui s’affirme, d’une richesse et d’une intensité peu communes.
« Peut-être ne parait-on jamais si parfaitement à l’aise que quand on joue un rôle ».
Oscar Wilde
Mickaël comment êtes-vous arrivé sur « Le portrait de Dorian Gray » ?
L’aventure est assez curieuse. Je travaillais sur un autre spectacle avec Caroline Darnay quand, un soir de juin 2018, elle tombe sur l’annonce laissée par Thomas Le Douarec cherchant un nouveau Dorian, pour la version anglaise, en urgence, à quelques jours du festival d’Avignon. J’ai envoyé ma candidature à Thomas que je ne connaissais pas, sans être sûr qu’il verrait mon message rapidement d’autant que je le savais très occupé. En l’absence de réponse immédiate, j’ai pensé que c’était terminé et que c’était bien dommage. Et puis, quelques jours après, Thomas Le Douarec m’appelle pour fixer une audition au terme de laquelle je suis retenu !
Comment vous avez préparé ce rôle ?
Au début, j’ai eu très peur, Dorian Gray est une sacrée figure, un personnage universel appartenant à la littérature, mais aussi au cinéma, à la télévision. Compte tenu de la façon dont Oscar Wilde décrit son personnage, je me suis demandé si j’allais être à la hauteur !
Concernant ma préparation, avant de jouer, je peux dire que je ne lâche pas mon personnage d’une semelle et qu’il m’accompagne en permanence. Il est omniprésent et je l’imagine dans toutes les situations que je peux vivre au quotidien. Puis vient le moment de s’accaparer le texte, à travers mon propre prisme d’abord, avant d’épouser les mots de l’auteur.
Quel a été votre précédent spectacle ?
J’ai joué Oreste dans « Andromaque » d’Anne Delbée, l’été dernier, durant le mois Molière de Versailles, nous étions en plein air, dans les Écuries du Roi (quelle expérience !) puis au festival de Figeac et d’Anjou et j’en garde un excellent souvenir. Interpréter des personnages tourmentés est une chance, c’est une chose qui nous enrichi et nous fait grandir.
Si l’on remonte plus loin : comment êtes-vous venu au théâtre ?
Ce n’est pas une décision personnelle longuement préméditée ! C’est curieux de dire cela, je suis assez rationnel mais j’ai l’impression que c’est un choix qui me dépasse, comme si une bonne étoile veillait sur moi et me montrait la voie. Tout a commencé le jour où une amie m’a parlé de Jaromir Knittel, un metteur en scène, professeur au Conservatoire de Paris, ayant travaillé notamment avec Francis Huster et qui dirigeait aussi une troupe en Alsace.
Et vous avez directement intégré sa troupe ?
Oui, à seize ans, j’ai rencontré ce grand maître du théâtre qu’est Jaromir Knittel. Il m’a demandé de montrer ce que j’avais dans la ventre et ma première audition s’est faite avec le passage culte de la cassette dans « L’Avare », un contre-emploi total, je n’avais ni l’âge, ni la carrure du rôle. Sa réaction a été de me dire que j’avais visiblement quelque chose à défendre. Je me suis senti adopté, ce qui m’a donné le sentiment d’exister, d’être écouté, regardé, ce qui ne m’était jamais arrivé mis à part au lycée où j’ai eu la chance d’avoir un exceptionnel professeur de théâtre en la personne de Brigitte Haby à qui je dois beaucoup. Dans la foulée, j’ai poursuivi en faisant un passage au Conservatoire d’art dramatique de Strasbourg.
Donc vous étiez fait pour ça !
Peut-être, mais ce n’était pas un rêve, ni quelque chose qui venait de loin, en tous cas, je n’en avais pas conscience. Enfant, je dessinais beaucoup, le crayon était mon mode d’expression, je me voyais plutôt professeur d’art plastique.
L’attirance pour l’art était bien là !
Oui, vraiment, j’ai toujours eu un attrait pour l’artistique, comme une main tendue me permettant de dépasser mes manques, de changer ma vie et de réaliser certains rêves. L’art comme moyen de sublimer mon existence. Frédéric Mitterand disait que tout part d’une certaine frustration. Souvent, on se rend compte que les artistes ayant connu de grands malheurs, fascinent. Chez chacun d’eux, on a trouvé une part de vulnérabilité et les gens s’y retrouvent. Ils illuminent les plateaux ou les scènes, ils sont fragiles et pourtant ils avancent !
Quand on vous voit sur scène, on a tout sauf un sentiment de fragilité !
C’est vrai ?
Oui !
Alors je camoufle bien ! Peut-être parce que Dorian est plus confiant que moi ! Sur scène, je joue un rôle, je me sens plus solide à travers un personnage.
Dans une célèbre citation, Gide disait que l’on ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments et il est curieux de voir à quel point, l’opéra en est un bon exemple, la tragédie peut être source de bonheur !
Oui, même s’il y a aussi beaucoup de gens qui demandent du divertissement et du rire, et c’est bien leur droit ! Mais, pour ma part, j’ai toujours été fasciné et traversé par les grandes tragédies. Paradoxalement, pleurer me donne envie de rire et de vivre. Je n’ai jamais été plus heureux qu’à la sortie d’un film, après la lecture d’un livre ou d’une pièce très triste.
Alors quelle est votre conception du bonheur, vous qui voulez jouer un texte sur ce sujet précisément ?
Vous faites allusion au « Discours sur le bonheur » d’Émilie du Châtelet ! Elle y parle, en vérité, beaucoup de ses failles et de ses vulnérabilités. Dans sa vie, celle qui fut la maîtresse de Voltaire, pour le dire crûment, a pris cher ! Elle a joué et elle a beaucoup perdu, je pense à sa fin et à cette rencontre avec un jeune poète qui va, indirectement, causer sa mort. Pour répondre à votre question, je dirais : vaste programme ! Pour mieux vivre, il faut laisser tous ses questionnements, s’abandonner un peu, être en paix et traversé par les plus grands grands sentiments. Je me suis toujours dit que peu importe la durée de la vie, il faut qu’elle soit bien remplie. J’adore tout ce qui s’éloigne de la routine. Toutes les surprises, toutes les difficultés nous font grandir, comme le disait Nietzsche. Emilie du Chatelet affirmait, elle, que le bonheur c’était n’avoir rien d’autre à faire dans ce monde que de s’y procurer des sensations et des sentiments agréables, quoi qu’il advienne ! Belle philosophie non ?
Effectivement ! S’agit-il du spectacle dont vous vouliez faire un seul en scène ?
Oui, en effet, mais au final, on a créé une histoire en telle symbiose avec Caroline Darnay qu’il m’a semblé évident de la défendre à deux : je ne me voyais plus la jouer en solitaire !
Pour revenir à vos autres passions, j’ai noté que vous faisiez du piano !
Oui, je prends des cours avec un professeur d’origine polonaise et étant moi-même natif d’Alsace, cela crée des affinités. Tout ce qui vient de l’Est me parle beaucoup, que ce soit les artistes, la géographie et même la météo ! J’ai eu la chance de tomber sur un excellent pédagogue, plus content que moi encore quand j’arrive à jouer un morceau un peu difficile.
Du théâtre, de la télé, du dessin, en passant par la peinture et le piano, en conclusion, la question provocante qui s’impose : ne craignez-vous pas de vous disperser ?
Non, au contraire ! Je ne veux pas m’enfermer. Je suis très admiratif des multi-talents et d’ailleurs pourquoi se cantonner à une discipline ? Je partage l’idée que tout support, toute manière de s’exprimer, est un message artistique. Je souhaite pouvoir m’épanouir de toutes les façons possibles, par exemple avec la chanson, il faut la rajouter à votre liste (rires), tout en prenant mon temps, je ne veux rien précipiter. Je me suis longtemps privé de ces plaisirs, j’ai longtemps enfermé mes dessins, me suis longtemps interdit le piano. Un jour, je me suis dit que je n’avais rien à perdre, je démarre, j’ai tout à prouver et je veux que les portes devant moi soient ouvertes et non fermées. Après, … on verra !
Propos recueillis par Philippe Escalier
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