“Huis clos” : Sartre redécouvert au Théâtre de l’Atelier
Avec un trio de comédiens exemplaires, Marianne Basler, Maxime d’Aboville et Mathilde Charbonneaux, Jean-Louis Benoît s’attaque au chef-d’œuvre de Jean-Paul Sartre qui questionne la liberté humaine et l’engagement. À découvrir dans une mise en scène limpide.
L’enfer c’est les autres
Nous sommes dans l’antichambre de l’Enfer. Un seul acte et cinq scènes écrites d’une plume fulgurante par Jean-Paul Sartre en 1943, en pleine guerre, pour trois amis comédiens. Trois personnages, Garcin, Inès et Estelle se retrouvent projetés par un garçon d’étage dans une pièce où leur est réservé chacun un canapé de couleur différente. Ce sont des morts, aujourd’hui absents au monde et chargés d’une lourde histoire, dont ils vont progressivement, au contact des autres, se défaire en en révélant les abîmes les plus tragiques. Garcin, joué merveilleusement par Maxime d’Aboville, est un journaliste pacifiste, séducteur et goujat. Se rêvant en héros, il échoue à accomplir ses rêves et termine en prison avant d’être fusillé. Inès, qu’incarne l’élégante Marianne Basler, est une ex-employée des postes qui affiche librement son homosexualité et qui a payé de sa vie cette liberté et son amour pour son amie Florence. Estelle, enfin, est une jeune bourgeoise écervelée et narcissique qui a commis des horreurs derrière son allure de communiante. La jeune Mathilde Charbonneaux donne à son personnage un éclat et une présence tout à fait saisissants. Quels rapports ont entre eux ces personnages ? Pourquoi sont-ils réunis sous une lumière qui ne s’éteint jamais, dans une pièce qui interdit le sommeil et empêche les larmes de couler ?
Nous sommes tous nos propres bourreaux
Très mal accueillie en 1943 par la presse collaborationniste, cette pièce n’a pas fini de faire éclater ses multiples pistes de lecture et l’intelligente mise en scène de Jean-Louis Benoît en révèle des questionnements très actuels. L’enfer dont nous parle Sartre est la dépendance totale que chacun de nous développe par rapport aux autres, ce qui constitue pour le philosophe une totale absence de liberté. Les rapports d’amour, de séduction, de possession, de complicité sont donc parasités par le jugement d’autrui. Quand la fraîche Estelle s’inquiète de l’absence de miroir pour ajuster son rouge à lèvres, c’est Inès, séductrice vénéneuse, qui lui tend son regard pour qu’elle s’y mire. Et lorsque Garcin, passablement esquinté par les attaques d’Inès sur sa veulerie masculine, tente de redorer son blason de macho, c’est dans les bras de la jeune Estelle, ravie de séduire, qu’il va se lover en roulant sur le canapé. Dépendances et séductions, mensonges et difficultés d’avouer la vérité, la pièce de Sartre n’épargne personne à travers des dialogues rondement menés, piquants et drôles et qui ne paraissent pas vieillis. Le jeu vibrant de Marianne Basler, le flegme éloquent de Maxime D’Aboville et l’innocence blonde et perverse de Mathilde Charbonneaux, sans oublier Antony Cochin ou Brock en portier de Satan, servent parfaitement le texte.
Hélène Kuttner
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