Hors la loi : un spectacle magistral et indispensable
Pauline Bureau, jeune metteur en scène, signe une création éblouissante à partir du procès de Bobigny de 1972, celui d’une gamine de 16 ans accusée avec sa mère d’avoir subi un avortement. En quelques scènes qui mêlent l’intime et le politique, avec des actrices bouleversantes, elle retrace le fil de ce procès, l’intervention de Gisèle Halimi ainsi que d’autres témoins de l’époque. Un spectacle fort, historique, et surtout indispensable aujourd’hui pour connaître les combats pour la liberté des femmes.
Le choc d’un traumatisme
Marie-Claire Chevalier a 15 ans en 1971 quand elle sort avec un garçon qui la viole. À l’époque, elle vit avec sa mère qui travaille à la RATP et sa petite sœur dans un petit appartement parisien. Elle va au collège mais cette soirée passée avec un copain à écouter un disque se transforme vite en traumatisme : malaises, nausées, fatigue, le médecin qui la visite découvre vite qu’elle est enceinte. Rapidement, elle et sa mère décident qu’il faut interrompre cette grossesse dans une période de pénalisation de l’avortement. Mais on les dénonce, et commence alors un procès retentissant, qui va faire couler beaucoup d’encre, celui de Bobigny où intervient la célèbre avocate Gisèle Halimi qui profite de l’occasion pour faire le procès d’une loi injuste pour les milliers de femmes françaises passées, certaines en y laissant leur vie, par cet acte dangereux et clandestin.
Une mise en scène magistrale
Pauline Bureau a écrit un texte de théâtre remarquable, après avoir réalisé une enquête auprès de nombreux témoins de l’époque, interrogeant l’héroïne et sa mère et lisant des rapports du procès de l’époque. Elle a eu la formidable idée de dédoubler Marie-Claire avec deux actrices, la première, l’héroïne aujourd’hui, incarnée par Martine Chevalier, qui raconte son histoire, derrière Claire de La Rüe du Can qui joue l’héroïne jeune. Dans un espace également dédoublé, qui s’ouvre sur l’appartement, gris pastel, lui-même s’ouvrant sur la rue au dehors, les personnages apparaissent et disparaissent par effraction, de manière cinématographique, en imprimant chaque image comme un tableau vibrant d’émotion. Coraly Zahonero joue la mère qui élève modestement et seule ses deux filles, alors que Danièle Lebrun est une voisine compatissante et débrouillarde qui fait appel à Madame Bambuck, campée de façon saisissante par Martine Chevallier.
Musique du cœur
La bande musicale de Vincent Hulot ponctue chaque tableau et ménage un suspense émotionnel intense, dont le tragique éclate avec le viol. Puis, dans la seconde partie du spectacle, c’est la reconstitution du procès de Bobigny dans le contexte brûlant du “Manifeste des 343” femmes qui ont avoué avoir avorté, dont Delphine Seyrig et Simone de Beauvoir, jouées également par les mêmes comédiennes. Françoise Gillard est Gisèle Halimi, celle qui orchestre de manière magistrale la révolte des femmes, face à Laurent Natrella (le président du tribunal), Bertrand de Roffignac (le procureur) et Alexandre Pavloff (Michel Rocard). Mais les comédiens sont multiformes et jouent plusieurs personnages dans un maelstrom haletant, nous plongeant dans une prise de conscience salutaire : celle de femmes qui, depuis les années 1920, étaient passibles de prison pour avoir voulu disposer de leur corps. Avec fougue, mais aussi une délicatesse et une tendresse infinies, le spectacle de la jeune metteur en scène nous raconte cela. L’intime et la souffrance de personnes bafouées, manipulées, soumises, souvent en raison de la pauvreté de leur condition, à une loi qui était criminelle et profondément injuste. Les actrices, toutes formidables, rendent hommage à ce combat repris ensuite par Simone Veil en offrant cette histoire bouleversante au public aujourd’hui.
Hélène Kuttner
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