“Home”, un petit bijou
Home De David Storey Mise en scène de Gérard Desarthe Assisté par Jacques Connort Avec Carole Bouquet, Gérard Desarthe, Pierre Palmade, Valérie Karsenti et Vincent Deniard Jusqu’au 20 décembre 2015 Du mardi au samedi à 21h Tarifs : de 17 à 42 € Durée : 1h Théâtre de l’Œuvre M° Liège
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Jusqu’au 20 décembre 2015 Dans ce qui ressemble à une cour, deux hommes et deux femmes passent un moment ensemble, d’abord à deux puis à quatre, et à cinq. Ils parlent, ils passent ainsi le temps, finalement leur vie, puis ils repartent. Où ? Dans leur solitude surtout. Une étrangeté comique règne, ciselée à merveille. L’auteur britannique David Storey se tient avec brio sur un fil, ayant toujours écrit avec le critère de l’incompréhensible. Son théâtre, et notamment sa pièce Home, a la particularité de ne pas pouvoir se résumer en des contours fixes, tant l’univers créé nous plonge dans l’indéfinissable. C’est là toute sa force et son incomparable caractère énigmatique est une prouesse, car jamais les personnages sur scène, pas plus que le public, ne peuvent prétendre tout comprendre. Parce que précisément il n’y a rien à comprendre. Il faut prendre le tout pour ce qu’il nous renvoie de l’absurde qui justement nous constitue. Rien ne se passe en effet si ce n’est l’existence elle-même avec son cortège non-dit de questions métaphysiques. C’est donc presque rien et cela devient étincelant. Le vertige y est dérisoire, lisse, clownesque, taillé par des acteurs, un metteur en scène et un collaborateur artistique qui ont poli et serti l’ouvrage en orfèvres. La pièce commence avec Harry et Jack, interprétés par Gérard Desarthe d’une bonhomie désarmante et Pierre Palmade en dandy superbement pathétique. Avec une légèreté déconcertante et hallucinante, ils installent une atmosphère sur la frontière entre non-sens et comédie, jouant au mieux des silences, des pauses, des petits gestes anodins et des regards flottants. La conversation lentement construit le défi existentiel de toute conversation, comme si deux êtres qui essaient de se rencontrer ne pouvaient finalement que tourner tragiquement autour d’une impossibilité. Mais dans cette tentative d’échange sur des futilités, chacun veille à son élégance et son maintien, leur fragilité extrême les obligeant à se parer d’une dignité protectrice. Le trouble monte, précis, implacable, amusant et dérangeant. On ne sait à qui exactement on a à faire, et cette gêne porte quelque chose d’universel car les considérations sans importance sur le temps qu’il fait ou le souvenir d’une cousine montrent toute la difficulté pour chacun d’exister. Et ce n’est pas l’arrivée de Kathleen et Marjorie – Carole Bouquet et Valérie Karsenti si vulnérables derrière leurs facéties – qui va permettre de sortir de cet univers, bien au contraire. Les deux personnages féminins continuent d’accentuer un malaise où se greffent le désir inquiet ainsi que le besoin de l’autre tendu jusqu’au ridicule teinté d’angoisse. Le chassé-croisé de ces quatre inadaptés gagne en folie, augmenté encore par la venue d’un athlète vainement démonstratif et cocasse. Il faut du temps avant que des indices confirment qu’ils sont tous des pensionnaires d’un asile d’aliénés, un service psychiatrique peut-être. Mais aussi fous qu’ils soient, ils ont jusqu’au bout cette volonté plus ou moins raide, plus ou moins grotesque, d’avoir l’air de ne pas être fous. Et l’on pourrait presque tout autant prétendre que ceux qui ne sont pas fous et qui font tout pour paraître normaux sont finalement plus fous que ces fous-là. Les spectateurs sont subtilement emportés dans cette zone étincelante de brouillard où se retrouve la zone obscure de chacun, qu’il parvienne ou non à rester sain d’esprit. Pour tenir cet humour, il fallait beaucoup de délicatesse et les cinq comédiens sont dirigés avec une grande finesse. Les facettes des personnages se révèlent à travers un jeu et des gestes aiguisés, précis, façonnés avec soin. Chacun réussit superbement cette nécessité de rester enfermé en soi-même tout en cherchant un équilibre par le rapport à l’autre. Sur la scène dépouillée, les chaises, dont souvent l’une manque pour que tous puissent s’asseoir, prennent habilement une consistance qui structure le déroulement. Chacun s’accrochant désespérément à un objet, on y sent combien les corps des uns et des autres vacillent tout en étant le rempart élégant d’une friabilité intérieure. On rit, on est touché, on est apostrophé et conquis par ce diamant théâtral. Émilie Darlier [Photos © Dunnara Meas] |
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