Hofesh Shechter : la danse comme tentative de survie
Corps morcelés, saisis par des soubresauts telluriques sur un tempo et des basses infernales, la danse du chorégraphe d’origine israélienne est infusée par des transes et des ruptures qui vont de la vie à la mort. Deux de ses créations, Uprising et In your rooms, font une entrée remarquable au répertoire de l’Opéra National de Paris avec de jeunes danseurs athlétiques et flamboyants.
Seul et ensemble
Dans Uprising, créé en 2006, sept danseurs sont projetés sur un plateau noir, strié par une rampe éclatante de projecteurs. Alexandre Gasse, Jack Gasztowtt, Simon Le Borgne, Hugo Vigliotti, Takeru Coste, Loup Marcault-Derouard et Antonin Monié, en jeans couleur de terre et sweats en coton, réinventent une genèse de notre monde, où des Adam en posture animale évoluent de manière languide vers la station debout. Les corps se découvrent, se flairent, s’apprécient, se touchent. Des groupes se forment, pose et gestuelle à l’identique dans une mimesis encore enfantine. Puis surviennent la révolte, le détachement, la liberté, l’individu qui cherche à jouer avec son semblable, l’effleure, le provoque puis commence à se battre. Shechter analyse et reproduit les dynamiques de groupes d’hommes ordonnés dans leur imitation, leur reproduction et leur agressivité à s’évaluer entre eux. C’est une meute, animale et guerrière, qui se rue sur un plateau secoué par une musique électronique aux basses dérangeantes ou envoûtantes. Comme toujours chez cet artiste, le centre de gravité des corps est le sol et les jeunes danseurs ploient leurs colonnes et font vriller leurs jambes à la manière d’un vieux film qu’on projetterait en changeant la vitesse. Puis c’est le calme avant la tempête, une parenthèse de sérénité durant laquelle chaque corps se saisit de l’instant présent.
Intimité et malentendu
Comment communiquer ensemble ? Comment se parler, se voir, s’aimer, se désirer ? Hofesh Shechter prend la parole dans cette oeuvre très personnelle de 35 minutes, In your rooms, et ses propos sont aussi les nôtres. Ils interrogent le chaos de nos vies, celui de la politique, celui de notre intimité et de notre libre-arbitre, d’autant que l’oeuvre est inspirée par la situation en Israël. Faisons nous corps avec la société, ou peut-on être anarchiste, libertaire ? L’aspect impératif du long service dans l’armée, le poids de la famille, de la religion et de la morale, l’individualisme hédoniste de Tel Aviv confronté aux rites tribaux ancestraux du couple et de la famille, font de ce petit pays nourri d’Europe et d’Amérique un bouquet de paradoxes et de contradictions qui se traduisent en images et en musique, composée par l’auteur et jouée en direct, dans le spectacle. Hip hop, break, fusion des corps et déchirures entre filles et garçons dessinent des êtres jeunes, perdus, paumés dans la grande ville qui les ravit et les broie. Caresses, torsions, fuites, l’énergie haletante des corps qui se jettent, se projettent alors que les percussions, le violoncelle et la contrebasse figurent les plaintes et les pulsations cardiaques. Guerre ou amour ? La question ne date pas d’hier, mais la proposition du chorégraphe, portée à son incandescence émotionnelle et physique par des danseurs de formation classique, est tout à fait remarquable.
Hélène Kuttner
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