Hinkemann, poignant
Hinkemann Mise en scène de Christine Letailleur Avec Michel Demierre, Christian Esnay, Manuel Garcie-Kilian, Jonathan Genet, Charline Grand, Stanislas Nordey et Richard Sammut Jusqu’au 19 avril 2015 Du mercredi au samedi à 20h30, le mardi à 19h30, le dimanche à 15h30 Tarifs : de 14 à 29 euros Durée 2h10 Réservations au 01 44 62 52 52
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Jusqu’au 19 avril 2015
Hinkemann est un jeune allemand qui est revenu de la guerre de 14-18 impuissant, une balle lui ayant traversé le bas ventre. Cet homme beau et marié depuis peu, formant maints rêves et projets, est transformé en bête blessée. Dévasté à l’image de son pays ruiné, Hinkemann est une bouleversante tragédie intime et collective, qui montre comment la folie guerrière transforme le meilleur de l’humain en monstruosité. Une immense pièce servie magnifiquement. Tout commence avec un petit oiseau qu’exhibe le héros en fustigeant la cruauté des humains envers les bêtes. Il affirme à sa jeune épouse Grete que c’est sa mère à elle qui a mutilé le chardonneret. Par cette scène qui se déroule dans la pénombre, toute la terrible histoire qui va suivre s’exprime indirectement. Car pour comprendre ainsi la mutilation du chardonneret et s’insurger contre toutes les forces mauvaises qu’il a fallu pour s’en prendre à cette créature, il ne pouvait y avoir qu’un homme lui-même détruit et victime de la capacité ravageuse des hommes. D’emblée, la beauté de Hinkemann se dit à travers son regard et son propos sur l’oiseau. On sait que l’on a là un homme qui connait le meilleur et le pire. Des scènes finement travaillées par un éclairage clair-obscur alternent avec des scènes de cirque où le rouge et la rampe de lampions scintillent outrageusement. D’un côté se trament les sombres heures de l’histoire, de l’autre certains profitent sans vergogne de la détresse montante et affichent leur mépris clinquant. Hinkemann qui ne trouve pas de travail finit par être employé par le forain pour accomplir un numéro sanguinaire. Devenu bête de foire pour subvenir aux besoins du couple, il tente de rester l’humain qu’il était et lorsque brièvement il s’agenouille pour étreindre son épouse, une saisissante intensité semble tout arrêter sur le plateau. Mais malgré cette fulgurance magnifique, l’infirmité de Hinkemann reprend sa place et l’étreinte hélas ne peut plus se vivre pleinement dans la chair. Paul, l’ami, ne tarde pas à s’apercevoir que quelque chose du côté du jeune couple ne va pas. Profitant du désarroi de Grete, il tente de ruiner l’amour qui reste au-delà des corps, et aussi simplement qu’il siffle l’air de La Traviata, il prétend ranimer la vie alors qu’il la détruit. Il fait tourbillonner le plaisir mais sans lendemain. Les êtres qui étaient destinés à la beauté, s’ils sont blessés même tragiquement, n’en gardent pas moins une aptitude à préserver l’amour. Hinkeman et Grete auraient presque pu… Mais il est des périodes de l’histoire et des moments de l’humanité où tout est emporté par la puissance meurtrière. L’auteur, Ernst Toller, sait de quoi il parle. Né en 1893, il s’engage en 1914 pour défendre sa patrie mais très vite, face aux atrocités de la guerre, il nourrit une définitive hostilité à toute guerre quel qu’en soit le prétexte et dès lors il se consacre au pacifisme, politiquement et en tant que dramaturge. Il est incarcéré durant cinq ans pour ses engagements révolutionnaires et en 1933, alors que ses livres sont brûlés, il lutte contre le nazisme puis doit fuir à New York où il se suicide en 1939. Christine Letailleur avec de remarquables jeux de lumière et une volonté de dégager au plus haut le texte, s’empare superbement de cette œuvre peu jouée et elle rend justice à cet immense auteur. Il faut garder à l’esprit que c’est à chaud que Toller écrit ce drame. C’est dire la sagacité et la profonde analyse qu’immédiatement il déploie. Sa pièce est empreinte de lui, elle vibre de son engagement physique, de cette rare alliance entre la pensée d’un homme et son courage personnel. Une vérité poignante vient saisir le spectateur et ne trompe pas ; la plume de Toller est plongée dans son sang ainsi que son expérience, et la metteur en scène, pour rendre toute la force des personnages, a fait appel à une distribution qui épouse de manière bouleversante cette sensibilité et cette intelligence à vif. Au premier plan, Stanislas Nordey et Charline Grand, sidérants. Autour d’eux, tous sont dirigés sur le fil d’une vibration à l’égale de l’inspiration profonde et exigeante de Christine Letailleur. Une pièce d’une actualité foudroyante. [ Photos : © Elisabeth Carrecchio]
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