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Hamlet, le cabaret de Matthias Langhoff au théâtre de l’Odéon

7 décembre 2009
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« En manteau rouge, le matin traverse la rosée qui sur son passage paraît du sang »

 

Tout le monde connaît le « Hamlet » de Shakespeare et pourtant, personne ne sait plus ce que c’est. C’est sur le sol de cette mémoire collective fragmentaire que s’élève le travail de mise en scène du dramaturge allemand prodigieusement novateur et anti-conservateur. Démontant pièce par pièce la version versifiée de Sir William, Matthias Langhoff désacralise et diabolise le chef-d’œuvre classique de l’empire shakespearien en l’éclairant sous le faisceau des projecteurs du Music Hall, en plein contre-champ de la tradition théâtrale. À partir d’un texte établi trente ans plus tôt avec son ami Heiner Müller sur la matière brute du texte shakespearien, Matthias Langhoff, convaincu que « le mot à mot est le sol où pousse toute transposition poétique », a pris le parti d’une traduction radicale dont la base du montage reste le texte allemand. Dans l’adaptation finale, c’est pourtant la langue-matériau de Shakespeare – une fois déliée et démontée – qui domine. Saturant le volume scénique par la concentration de repères visuels et par l’amplification d’extraits sonores diachroniques, Langhoff électrise son adaptation du Hamlet de Shakespeare. Réaménagé en salle de cabaret, le théâtre de l’Odéon invite tour à tour les spectateurs à prendre place à même un décor dont la scène est littéralement débordée. Magnétisé par la vision de panneaux lumineux où défilent sans interruption des morceaux de texte précipités – pensées en vrac d’un Hamlet proprement mis en pièce par le dramaturge – le public se laisse absorber par la répétition hypnotique et mécanique d’une bande sonore ressassant en boucle le nom des héros du drame dont l’histoire bégaye sur la platine d’un tourne-disque rayé. Place à un spectacle qui a toujours déjà commencé.

 

Le complexe Hamlet

 

Attablé à l’avant-scène avec les autres spectateurs à une des pointes du plateau en forme de V, l’acteur Hamlet (François Chattot) concentré, noircit du papier. La représentation n’a pas encore démarré et pourtant le spectacle nous a comme précédés : l’assistance à peine installée, la fièvre du music-hall mettant le théâtre en abîme fait déjà son effet. Sur le plateau, un décor articulé en trois grands volets, chacun réversible à sa façon en prévision de tout retournement de situation. Un triptyque fantaisiste polarisé et plombé à sa gauche par une coquille Saint-Jacques surdimensionnée abritant le « Tobetobe Orchestra » – nommé ainsi, on l’aura compris, en l’honneur de la célèbre tirade du héros pris dans l’intervalle de l’être et du néant. Un orchestre chahuté dont les interventions musicales hésitantes sont autant de reprises parodiques de ladite réplique. Au centre, une scène de cabaret-théâtre étoffée d’une affiche publicitaire des années 50 vantant les bienfaits du fromage danois pour la santé, d’une reproduction du Radeau de la Méduse ; le tout enveloppé dans une iconographie d’ensemble, tantôt drapé dans un épais rideau de velours, tantôt voilé par un simple tissu ajouré. Un théâtre d’ombres parmi lesquelles, à mi-chemin entre le mirage tenace et la pure métaphore, déambule nonchalamment un pur-sang au fessier cuivré. Retiré dans les gradins parmi les autres spectateurs, Hamlet, éclairé à la lueur de la chandelle, débite tout en douceur son monologue. Projetée sur un écran opposé, la scène secrète est divulguée dans la salle à la manière d’une paisible rumeur dont la courbe poétique est redoublée par le reflet d’un visage dégagé de sa matérialité.

 

Parodie sadique

 

Langhoff subvertit les catégories du genre sans rien enlever à la mécanique du tragique shakespearien : un Hamlet rodé à la ruse, exigeant réparation, manipulant les souverains du royaume, élimant leur bêtise à la façon d’un instrument aiguisé prêt à trancher à l’aveugle. Une stratégie à ambition cathartique et à but expiatoire, visant la dissimulation du crime en misant tout sur la simulation d’une folie provisoire. Hamlet bicéphale, bipolaire, dépareillé, confondant encore sa gauche et sa droite comme si la généalogie familiale bancale l’avait désaxé pour de bon. Son interprète, François Chattot – un Hamlet fatalement vieilli par la répétition du cycle de la tragédie – est impérial dans le rôle du héros maudit. Prisonnier en transit dans sa propre cellule familiale, tourmenté par la puanteur rampante du vieux spectre de son père suintant encore le poison qu’on lui a administré. Apparition spectrale du roi défunt, crasse et cuirassé, hissant sa lourde carcasse désarticulée du fin fond d’une benne à ordure : c’est sûr, il y a bien quelque chose de pourri au royaume du Danemark. Dans le rôle, Jean-Marc Stehlé, mort revenu d’entre les morts pour repeupler le sous-sol des coupables qui s’en sont injustement tirés. Complice du vice, la mère d’Hamlet, Gertrud (Emmanuelle Wion) précieuse ridicule n’ayant de cesse que de se donner en spectacle, veuve joyeuse et jouisseuse, déguisée en starlette à paillettes, autoproclamée reine sacrée du Music-hall, in fine renvoyée dans les coulisses d’un cabaret déserté. N’échappant pas à la règle du pire, Ophélie, empotée, (Patricia Pottier) fait grimacer son habituelle beauté. Vieille fille navrante qui, la pupille égarée, ne cessera de lorgner sur le jeune prince avant d’entonner comme une démente, du fin fond de son tombeau, une chanson paillarde réjouissant le fossoyeur finissant de l’ensevelir parmi les vanités du royaume infesté.

 

Thaumaturge dépeçant avec appétit la carcasse d’une langue shakespearienne qui n’a pas encore fini de parler, Matthias Langhoff fait tourner à plein régime la machine infernale d’un monde pathétique, chantant faux mais sonnant juste, marchant de travers et finissant, ivre de chaos, par trébucher sur le tas de cadavres que l’histoire a oublié de venger.

 

Nora Monnet

 

 

« En manteau rouge, le matin travers la rosée qui sur son passage paraît du sang »

ou Ham. and Ex by William Shakespeare

Un Cabaret Hamlet de Matthias Langhoff

 

Musique / Olivier Dejours

Traduction / Irène Bonnaud

 

 

Mise en scène et décor / Matthias Langhoff

Toiles / Catherine Rankl

Costumes / Arielle Chanty

Lumière / Frédéric Duplessier

Avec Marc Barnaud, Patrick Buoncristiani, François Chattot, Agnès Dewitte, Gilles Geenen, Anatole Koama, Frédéric Kunze, Philippe Marteau, Charlie Nelson, Patricia Pottier, Jean-Marc Stehlé, Emmanuelle Wion, Delphine Zingg et Osvaldo Caló, le Tobetobe-Orchestra : Antoine Berjeaut, Osvaldo Caló, Antoine Delavaud, Jean-Christophe Marq, Brice Martin.

 

Jusqu’au 12 décembre 2009

Du mardi au samedi à 19h

Le dimanche à 15h

Durée : 4h30 (avec entracte)

Renseignements & réservations au 01 44 85 40 40

 

Théâtre de l’Odéon

Place de l’Odéon 75006 Paris

Métro : Odéon

www.theatre-odeon.fr

 

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