“Hamlet” à l’Odéon : Christiane Jatahy rate le coche
La comédienne Clothilde Hesme incarne un Hamlet au féminin dans une création de Christiane Jatahy, artiste mondialement connue pour ses adaptations radicales des classiques de la littérature. Dans un univers contemporain, le célèbre héros shakespearien rejoue la tragédie avec ses fantômes, entre rêve et cauchemar, dans une scénographie sophistiquée, mais sans mystère, sans poésie ni métaphysique. Shakespeare devient presque ennuyeux.
Promesse d’un songe mystérieux
On attendait avec ferveur ce projet théâtral, comme on espérait du très beau prologue qui voit apparaître Clothilde Hesme, silhouette androgyne et coupe à la garçonne, pantalon noir et débardeur idoine, derrière l’écran brumeux d’une forêt sauvage. L’effet, d’une puissante sophistication due à la vidéo, vient multiplier les strates d’une histoire énigmatique où le fantôme paternel, joué par Loïc Corbery, hante d’une manière cinématographique et surdimensionnée l’espace. Le père fantomatique est là qui ne lâche pas son fils, à qui il demande de le venger. En effet, le père d’Hamlet a été assassiné par son frère pour lui dérober le Royaume de Danemark et épouser quelques mois plus tard son épouse Gertrude. Et l’histoire va se rembobiner, dans la proposition théâtrale de Jatahy. Le héros, ici une jeune femme, se remémore tous les événements, croise les personnages de l’histoire, pour finalement ne jamais parvenir à se débarrasser de ces fantômes qui l’obsèdent.
La vengeance des femmes
Passé ce prologue prometteur, le spectacle semble s’enliser dans une contemporanéité au réalisme ordinaire, qui, à force de gommer le symbolique et l’énigmatique, semble patiner dans le vide. Le choix de faire jouer Hamlet par une femme n’est pas en soi une nouveauté, puisque Sarah Bernhardt à la fin du XIXe siècle, Angela Winkler un siècle plus tard et Anne Alvaro, plus récemment, ont endossé les habits de ce rôle mythique. Pourquoi pas ? Christiane Jatahy souhaite concentrer la pièce sur les trois rôles féminins, Hamlet devenue une femme à sa maturité, Gertrude sa mère et Ophélie sa fiancée, pour en faire les égéries d’une lutte contre le patriarcat et sa violence incarnées par Claudius, le frère meurtrier, Polonius, le père d’Ophélie, Rosencranz et Guildenstern, les amis d’Hamlet. Tout ce qui relève de la complexité dans la longue pièce de Shakespeare, dont le héros ne cesse de traquer la vérité, feint la folie pour tenter de comprendre et de confondre les meurtriers, renvoie ses amis pour traquer des preuves et retrouver des motivations de combattre, dans un combat sans fin pour justifier sa propre existence, s’étiole ici malgré le talent des comédiens qui font ce qu’ils peuvent.
Drame ordinaire
Que voit-on ? Une jeune adulte qui semble revendiquer une posture non genrée, Clothilde Hesme, révoltée contre une mère possessive, superficielle et alcoolisée, incarnée par Servane Ducorps. On crie et on chante des standards de variété américaine, Claudius semble traverser l’espace avec le flegme d’un jeune cadre dynamique, auquel Mathieu Sampeur prête son physique avantageux. Les personnages vivent leur vie en ingurgitant des repas vite expédiés, dans une cuisine au rouge rutilant qui fait fumer les casseroles que l’on se jette à la figure, comme dans la pièce “Qui a peur de Virginia Woolf”. La pâte à pizza et les œufs valsent sur le sofa. La nouvelle traduction de Dorothée Zumstein, en simplifiant le texte, auquel la metteure en scène a rajouté des extraits de son choix, ne valorise pas sa poésie. Clothilde Hesme, solitaire et grave, demeure écorchée dans ce maelström orageux et vain. Soudain, Ophélie, qu’incarne avec sa présence sombre Isabel Abreu, surgit et tournoie, dans un long monologue en portugais comme si elle se dépossédait de sa posture de victime pour la transformer en héroïne de la révolte, symbole de toutes les femmes violentées. Le portugais se mêle soudain au français avec Tonan Quito qui joue Polonius, comme s’il était étranger à ce drame. Tout cela manque curieusement de cohérence et de sens.
Hélène Kuttner
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