“Golem” : une légende magique, une plongée dramatique au cœur de l’Europe
"Golem" © Simon Gosselin
Au Théâtre de la Colline, invité par son directeur Wajdi Mouawad, le réalisateur et metteur en scène Amos Gitaï renoue avec son mythe fétiche, le Golem, à travers un spectacle symphonique bouleversant, en musique, en images et neuf langues, porté par des comédiens éblouissants. En partant du Moyen-Âge jusqu’à nos jours, le Golem, créature d’argile, tente de conjurer la persécution des juifs d’Europe en apaisant le chaos du monde.
Une légende vivace

© Simon Gosselin
En 2023, Amos Gitaï créait House, un spectacle en forme de voyage historique et géographique, qui faisait se croiser plusieurs narrateurs en quête de leurs origines, au Proche et Moyen-Orient. Palestine, Israël, Liban, Syrie, Jordanie constituaient les terreaux de cette quête mémorielle, alors que l’onde de choc du 7 octobre 2023 n’avait pas encore eu lieu. Avec Golem, cette nouvelle création, l’artiste et Marie-José Sanselme explorent les tréfonds d’une légende ancestrale qui fit naître au XV° siècle, à Prague, une créature d’argile façonnée par un rabbin, le Maharal de Prague, pour défendre et protéger la communauté juive face aux persécutions incessantes. À l’origine, le mot « Emet » (vérité) était écrit sur le front du Golem et lorsqu’on effaçait le premier « e », le mot devenait « Met », la mort. Protecteur, mais aussi monstre incontrôlable qui évoque les robots que nous créons aujourd’hui, cette créature inachevée était déjà le thème du film Golem, l’esprit de l’exil que Gitaï réalisa en 1991. Ce sont les images de Tsili, son film adapté du roman d’Aaron Appelfed, qui sont projetées au tout début du spectacle, après que la sublime voix de Sophie Leleu, qui joue également de la harpe, nous immerge dans ce monde miraculeux où les morts et les vivants, les persécutés et les exilés de l’histoire reprennent vie.
Puissance émotionnelle

© Simon Gosselin
Le spectacle procède donc comme une suite de situations, d’extraits de romans, de chansons et d’images, qui nous propulse au cœur des migrations et de la persécution, leitmotiv inhérent à la diaspora des juifs d’Europe. Le yiddish, l’allemand, l’anglais, l’arabe, l’espagnol, l’hébreu, le ladino (judéo-espagnol) et le russe sont les langues parlées et chantées par les comédiens et les chanteurs pour raconter cette histoire à travers les mots de l’écrivain new-yorkais Isaac Bashevis Singer, de l’Austro-Hongrois Joseph Roth, de l’Ukrainien Lamed Shapiro. Légendes enfantines qu’Irène Jacob, la comédienne fidèle, raconte de sa voix douce, traversant une scène constituée d’un amas de vêtements, comme des lambeaux de vie et de mémoires, en miroir des façades de maisons détruites, suspendues dans l’espace, archives encore brûlantes d’un monde disparu. Micha Lescot, que l’on avait vu dans House, est aussi de la partie. Il campe, de manière burlesque et caustique, le juge qui condamne effrontément le juif, incarné en yiddish par Menashe Noy, pour avoir tué la fille d’un comte. Ce théâtre de tréteaux, d’images et d’accessoires qui volent et voyagent comme des bulles de vie, est au service de récits poignants portés avec un engagement puissant par les interprètes.
Témoignages de l’intime

© Simon Gosselin
Le baryton-basse Laurent Naouri, que l’on admire habituellement sur les scènes d’opéras, est le rabbin créateur du Golem. C’est la première fois que le chanteur interprète un rabbin, et c’est lui qui nous le confie, avec une poignante sincérité, dans la dernière partie de ce spectacle fleuve. C’est aussi cela que raconte le spectacle, dont les interprètes, acteurs et musiciens, jouent tous ici leur engagement de vie, leur histoire personnelle, en même temps que l’histoire de ces drames et de ces légendes. Laurent Naouri, impérial de gravité, est rabbin en yiddish, mais aussi en russe dans l’histoire du pogrom de Lamed Shapiro. Il joue et chante aussi en allemand, tandis qu’Anne-Laure Ségla, artiste complète, que l’on avait découverte avec Nathalie Dessay dans Un pas de chat sauvage de Marie Ndiaye, incarne en plusieurs langues, et avec son corps animal, le métissage de nos origines. Bahira Ablassi, actrice de cinéma, Minas Quarawany, acteur israélien, incarnent aussi la multitude des personnages alors les chanteuses Dima Bawab, Zoé Fouray, Sophie Leleu et Marie Picault, les musiciens Alexey Kochetkov au violon, Kioomars Musayyebi au sentour, et Florian Pichlbauer au piano nous enchantent avec des complaintes en yiddish ou ladino, des thèmes inspirés de Monteverdi ou Chostakovitch. La scénographie impressionniste, les lumières de Jean Kalman et la vidéo de Laurent Truchot sertissent cette mosaïque théâtrale qui se donne à voir avant tout comme une offrande multiculturelle vouée à la tolérance. Dans son histoire du Golem, Isaac Bashevis Singer écrivait en 1969 : « Je dédie cette histoire aux persécutés, aux opprimés partout dans le monde, jeunes et vieux, juifs et gentils, dans l’espoir fou que le temps des accusations injustes et des décrets iniques viendra un jour à sa fin. »
Hélène Kuttner
Articles liés

“La Série Noire au cinéma. 80 ans d’écrans noirs et de nuits blanches” : la nouvelle exposition de la Galerie Gallimard
À l’occasion des 80 ans de la collection “Série Noire”, la Galerie Gallimard présente une nouvelle exposition, “La Série Noire au cinéma. 80 ans d’écrans noirs et de nuits blanches”, du 28 mars au 13 mai 2025. À propos...

Le Théâtre de Poche-Montparnasse présente la pièce “Scarlett O’Hara, la dernière conférence de Vivien Leigh” par Caroline Silhol
Inoubliable Scarlett d’”Autant En Emporte le vent”, déchirante Blanche Dubois du “Tramway Nommé Désir”, star aux deux oscars, Vivien Leigh eut pour partenaires Clark Gable, Marlon Brando, Simone Signoret, Warren Beatty… Elle forma avec Sir Laurence Olivier “le couple...

Avant-première : “MEXICO 86”, un film de César Diaz au Centre Wallonie Bruxelles
1986. Maria, militante révolutionnaire guatémaltèque, est depuis des années exilée à Mexico où elle poursuit son action politique. Alors que son fils de 10 ans vient vivre avec elle, elle devra faire un choix cornélien entre son rôle de...