“Glenn, naissance d’un prodige” : une totale réussite
Après La Dégustation, pièce de théâtre et aujourd’hui un film tourné avec Isabelle Carré et Bernard Campan, l’auteur et metteur en scène Ivan Calbérac s’attaque au mythe du pianiste Glenn Gould et à sa personnalité hors du commun. Comment fabrique-t-on un prodige ? Et comment un artiste amoureux d’absolu peut-il vivre en société ? Thomas Gendronneau et Josiane Stoléru sont les deux pôles aimantés de cette pièce captivante sur l’art et la création, magistralement interprétée par six comédiens.
Oreille absolue
Quand le petit Glenn Gould, alors âgé de trois ans, ne voulait pas répondre à sa mère qui au piano exigeait de lui une dictée de notes, il devait rester enfermé dans les toilettes froides. L’apprentissage passait pas ces corrections, cette discipline inflexible que Madame Gould mère, incarnée par la formidable Josiane Stoléru, infligeait à son génie de fils qu’elle destinait à une carrière internationale, puisqu’elle même n’avait jamais pu accéder à une telle renommée.
En pull jacquard et écharpe de laine épaisse autour du cou, Thomas Gendronneau qui joue Glenn Gould de manière exceptionnelle, exige une température de 27 degrés pour se sentir à l’aise et se mettre au piano. Sa cousine (Lison Pennec) le dévore des yeux, mais Madame Gould lui interdit toute visite ou conversation au prétexte qu’il faut protéger son fiston de toute diversion. Le jeune garçon à l’oreille absolue et au toucher magnétique grandit donc entre un père protestant, qui vend des peaux de bêtes et lui fabrique une chaise évolutive qu’il gardera en concert, et une mère musicienne, autoritaire et possessive, qui l’isole socialement en cultivant ses névroses et sa paranoïa.
Faire de son fils un prodige
La scénographie de Juliette Azzopardi reconstitue de manière stylisée la maison résidentielle des Gould au milieu de la nature canadienne. Autour du jeune garçon introverti et maniaque, hypocondriaque et obsessionnel, qui dort avec sa mère une nuit sur deux, se dessine aussi l’espoir d’une renommée mondiale. A la suite du concert qu’il donnera à Town Hall, New York, un agent de la Columbia (Benoît Tachoires) lui propose un contrat de pianiste international et le présentateur de Radio Canada (Stéphane Roux) cherche à percer le mystère de cet enfant prodige durant un talk show cocasse et mémorable face à sa mère.
À trente et un ans, le concertiste décide de tout arrêter et de ne se consacrer qu’à des enregistrements en studio et à des émissions de télévision, admirant les plus grandes rock star. Il impose ainsi au monde entier, avec une volonté de fer et une absence totale de compromis, mais aussi sa fragilité, son désir d’interpréter les Variations Goldberg de Bach, son Dieu. De cette trajectoire unique, Ivan Calbérac et son équipe de comédiens font un spectacle saisissant, drôle et émouvant à la fois, d’où on ressort les yeux embrumés et le coeur saisi par la poignante interprétation des Variations de Bach, si personnelle et si intime.
Hélène Kuttner
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