Gauthier Fourcade en toute Liberté !
Fin artisan du rire, poète-humoriste inassignable, Gauthier Fourcade sort le grand jeu en présentant à la Manufacture des Abbesses dans l’ordre chronologique, au rythme d’un par mois, cinq de ses spectacles dont les titres disent assez l’imaginaire fécond : Le cœur sur la main (septembre), Si j’étais un arbre (octobre), Le secret du temps plié (novembre), Le bonheur est à l’intérieur de l’extérieur de l’extérieur de l’intérieur (décembre) et pour clôturer sa pentalogie Liberté ! (avec un point d’exclamation) en janvier. Idéal pour bien commencer 2020.
Un ovni burlesque
Les fidèles qui espéraient le voir réapparaître avec ses fameux jeux de mots et maux du “je” se précipitent depuis septembre dernier à la Manufacture des Abbesses où Gauthier Fourcade présente l’intégrale de ses spectacles. Un exercice de style vertigineux où poésie, humour et absurde s’entrelacent dans une mystérieuse alchimie. Pas étonnant : ce clown-poète lunaire et fantasque est un ovni burlesque, un hurluberlu tombé de la lune, une indispensable herbe folle dans le jardin de l’humour hexagonal. Son rayon : les mots qu’il agence à sa singulière manière avec une précision d’orfèvre, un art consommé de la jonglerie verbale, du contre-pied ou du délire poético-philosophique. Sous sa plume experte, ils ouvrent sur un ailleurs poétique entre lune et étoiles, orages et ciels de traîne. Naguère, Fourcade a eu d’autres vies : il fut ingénieur diplômé de Supinfo, inventeur de jeux de stratégie dont certains ont été primés, journaliste scientifique pour la 5. Mais voilà, le bonhomme était destiné à faire souffler un vent fantasque sur nos scènes. Car il existe bien une petite musique fourcadesque, un peu comme chez Devos, Vian ou Beckett. Une façon de jouer avec les mots, de les triturer, d’installer un rythme, une pulsation interne qui n’appartient qu’à lui, comme une carte ADN. Il fait aujourd’hui partie intégrante de la famille des obsédés textuels, des faiseurs de songes et des ciseleurs de mots roulés à la feuille d’or.
Un cri de révolte à la fois philosophique et sociétal
À rebours des thèmes rebattus privilégiés par ses pairs, Gauthier Fourcade a choisi d’être l’auteur-interprète de solos poético-philosophiques pour partager ses apophtegmes sur le monde comme il va (mal). Il prolonge ici sa réflexion sur l’essentiel en reformulant la vieille question de toujours : celle de la liberté. Vaste sujet : quid de notre liberté de penser et de la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Sommes-nous libres parce que nous ignorons que nous sommes en prison ? Ce postulat de départ génère une digression surréaliste et néanmoins socratique sur les notions de déterminisme et de libre arbitre chevillée à l’histoire d’un homme atteint d’une curieuse maladie : il n’arrive pas à faire des choix ! Notre électron libre ayant décrété que la liberté d’un comédien “ce n’est pas de choisir mais de créer”, on passe alors du coq-à-l’âne (de Buridan) : l’amour, l’écologie, le rôle des multinationales et des religions, mais il y est aussi question de moulins à vent produisant de l’électricité, de voitures dont le volant ne peut tourner qu’à droite et de Romains ayant l’embarras du choix pour aller à Rome, le tout ponctué par un chœur russe et la fameuse chanson de Moustaki ! Insensé ? Non, juste fou, inventif et drôlissime. L’évidence irréfutable d’un texte tiré à quatre-épingles associé à une mise en scène complice et inspirée conçue par William Mesguich, lequel tire le meilleur d’un décor de bric, de broc et de branque, conférant une jolie théâtralité à ce conte burlesque aux circonvolutions complexes. Enchâssant les assonances astucieuses et les jeux sémantiques au fil d’une véritable pyrotechnie lexicale, Gauthier Fourcade se révèle ici dans son jeu théâtral. On ne l’avait encore jamais vu jouer dans cette tessiture, avec ces gestes et ces expressions. Un nouvel acteur en somme qui s’ingénie à surprendre sur ce chemin où tout est fortuit, sauf son souverain talent de maître de l’Absurdie.
Une délicieuse fête du verbe
Inutile de tourner autour du mot : les spectacles de Gauthier Fourcade sont de puissantes machines à penser et à rêver ; de délicieuses fêtes du verbe et de l’esprit qui encouragent un regard réflexif sur la marche de notre monde, exhortent à abandonner tout repère cartésien. Et donnent au public charmé l’illusion d’avoir son intelligence vive. Du spectateur, il fait son partenaire de jeu et de réflexion, s’ingénie à le surprendre, à l’étonner en s’emparant de quelques-uns des débats cruciaux de notre temps, en révélant les tourments de l’âme humaine, en offrant de partager ses failles, ses doutes, ses espoirs… dans lesquels nous nous reconnaissons. C’est en cela que Liberté ! (avec un point d’exclamation) est jubilatoire. Heureux ceux qui ne l’ont pas encore vu et pour qui donc, le plaisir est à venir.
Myriem Hajoui
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