Francis Huster et Davy Sardou – interview
Comment avez-vous été réunis, par le projet du metteur en scène Steve Suissa ou aviez-vous déjà le souhait de travailler ensemble ?
Davy Sardou : Le connaissant juste un peu, lorsque j’ai entendu Francis dire dans une interview qu’il s’apprêtait à jouer cette pièce, je lui ai envoyé un texto pour lui dire à quel point ça m’intéressait. Il m’a gentiment répondu que c’était le metteur en scène qui décidait et que le casting aurait lieu en temps et en heure… J’ai donc suivi les étapes et maintenant je suis bien sûr très heureux de travailler avec un immense comédien tel que Francis.
Francis Huster : J’avais entendu dire beaucoup de bien concernant Davy, notamment pour son rôle dans L’Alouette de Anouilh, mais effectivement, je lui ai poliment rappelé le mode de fonctionnement concernant le choix des comédiens ! Et puis Steve Suissa est un metteur en scène que je connais bien et en qui j’ai confiance. On ne le fait pas fléchir, il sait trancher, foncer, choisir par lui-même et assumer ses choix.
Le sujet de la pièce ne vous a-t-il pas fait hésiter, le monde profane pouvant se désintéresser de ces débats qui agitent le clergé ?
Davy Sardou : Au contraire, c’est une force de la pièce que de dépasser ces limites apparentes et tout ça m’a motivé ! Cette pièce se situe bien au-delà des préceptes de l’Eglise et du contexte religieux. Le débat de ces deux prêtres pourrait se transposer dans tout autre monothéisme, il s’agit quasiment du combat entre Anciens et Modernes. Francis incarne un prêtre qui reste attaché à des principes, tandis que le jeune séminariste que j’interprète veut le bousculer par idéalisme.
Francis Huster : C’est une pièce magnifique qui se joue en réalité à trois, le troisième personnage invisible et toujours présent étant Dieu. On ne fait que parler de lui et le texte est si bien bâti, très bien adapté d’ailleurs par Jean Piat et Dominique Piat, que les spectateurs ont l’impression d’écrire les dialogues au fur et à mesure du déroulement, penchant avec l’un puis avec l’autre, sans jamais savoir lequel des deux prêtres est dans la vérité.
Cette pièce apporte-t-elle des solutions ou des propositions qui trouvent un écho dans la vie courante de chacun d’entre nous ?
Francis Huster : Elle ne donne aucune réponse, elle pose des questions. Et c’est cela la tâche de la religion, c’est soulever des interrogations, sinon il n’y aurait plus de fidèles. Une religion en cela a un rôle différent d’une République. Cette dernière met au point des lois et affiche des règles. D’ailleurs, la vie elle-même ne cesse de vouloir donner des leçons ! La société a tendance à vouloir indiquer ce qui est bien ce qui est mal, ce qu’il faut faire et ne pas faire…. Ici, c’est différent, les questions sont si pertinentes et les deux points de vue sont d’une telle portée, si forte, si profonde, qu’elles entraînent le public à adopter le raisonnement des deux protagonistes, chacun étant convaincant et convaincu. Tout se déroule comme dans un tournoi où les deux participants rivalisent de talent, les deux prêtres ayant ici un même impact et des arguments forts, respectables.
Davy Sardou : Ces questions rejoignent des préoccupations de tout homme, bien au-delà des croyances elles-mêmes. La question de la chasteté ou le vœu d’obéissance ne va pas se poser en tout un chacun comme pour un prêtre, néanmoins tout homme peut avoir à se demander par exemple ce qu’il est prêt à sacrifier pour ce qu’il aime. La pièce appuie de ce côté-là et le jeune séminariste reproche à son aîné d’oublier l’essence même de sa foi. Ce balancement concerne toutes les existences, car la dispersion dans les soucis du quotidien amène des dérives, des mensonges peut-être, des manquements à ses propres valeurs. En cela, la pièce est totalement d’actualité, elle relance des questions essentielles et valables pour tous.
Quelles sont vos impressions quant aux options de Steve Suissa ? Vous surprennent-elles ?
Francis Huster : Ce qui est formidable, c’est que Steve ne remonte pas la pièce comme elle le fut de façon très réussie avec Jean Piat et Francis Lalanne. Il adopte une nouvelle manière et crée une atmosphère incroyablement inattendue, comme si on regardait les comédiens par le trou de la serrure, nous obligeant à ciseler toute la gamme des émotions dans une graduation très travaillée. Il faut beaucoup de sang-froid pour bâtir cette architecture de l’émotion qui s’élève en neuf tableaux, de palier en palier, en rajoutant à chaque seuil une nouvelle tonalité d’intériorité.
Davy Sardou : Les répétitions sont très intenses et amènent à fournir un effort presque plus dur que ne l’impose un film physique ou de cape et d’épée. La tension intérieure n’est jamais relâchée, tout est dans la subtilité et une écoute de l’autre extrêmement soutenue, car il faut progresser dans l’émotion sans jamais la répéter, mais au contraire en l’enrichissant. Steve maintient avec beaucoup d’exigence cette nécessité. C’est difficile et c’est passionnant, l’affrontement des idées et des consciences demande à aller creuser dans les profondeurs du jeu, dans les recoins, la finesse. Tout en restant intense.
Dans quel état êtes-vous à quelques jours de la première ?
Francis Huster : La première doit nous amener à retrouver l’état que l’on avait… à la première lecture, c’est-à-dire un naturel de l’émotion qui reprend le dessus après tout le travail fourni. Un peu comme dans une partition musicale. Avec bien sûr le souhait que le public soit touché et reçoive ce paquet émotif avec des moments denses qui vous rentrent dans l’estomac, tout en ayant quelque chose de cette formidable atmosphère du film My Fair Lady !
Davy Sardou : Dans un projet tel que celui-ci, on s’investit d’un bloc, complètement. C’est une pièce forte qui de plus marque pour moi une étape vers le théâtre contemporain. Je suis mobilisé par cette pièce et j’ai une grande confiance en Steve Suissa. Pour la première, comme le disait Laurence Olivier, et ce que dit Francis va dans ce sens, j’essaierai de retrouver la surprise que j’ai eue à la découverte du texte.
Isabelle Bournat
L’affrontement
De Bill C.Davis
Mise en scène de Steve Suissa
Avec Francis Huster et Davy Sardou
Du 28 avril au 2 juin 2013
Théâtre Rive-Gauche
6, rue de la Gaîté
75014 Paris
M° Edgar Quinet ou Gaîté
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