Francis Huster : “Ce que je joue, le public le joue avec moi”
La Peste D’Albert Camus Avec Francis Huster Jusqu’au 31 août 2015 Tarifs : de 20€ à 37€ Réservation en ligne ou par tél. au 01 42 65 90 00 Théâtre des Mathurins |
Jusqu’au 31 août 2015 La Peste, adaptation théâtrale du roman d’Albert Camus, nous fait penser à ce navire historique, l’Hermione, qui rentre au bercail fin août. Après une Odyssée longue de vingt-six ans, le spectacle touche à sa millième représentation, ultime escale. Récompensé par le prix du Brigadier en 1990, distingué par une double nomination aux Molières, il a mené Francis Huster en tournée à travers l’Europe et jusqu’en Amérique. Le spectacle se joue donc pour la dernière fois ce mois d’août à Paris, au Théâtre des Mathurins. À l’occasion, Francis Huster reçoit Artistik Rezo et nous parle notamment de l’importance du public. C’est un un surprenant préambule qui ouvre le spectacle La Peste au Théâtre des Mathurins. Francis Huster entre en scène côté spectateurs puis nous livre un discours. Le texte de Camus, loin d’être un morceau oublié de notre patrimoine est plus que jamais vivant et résonne à chaque époque, assure-t-il. Une « nouvelle peste » rampe à l’heure actuelle. L’acteur interprète ensuite, dans un fougueux seul en scène, les différents personnages, bascule entre narration et dialogues. Puis il s’en retourne, exactement comme il était venu, du côté du public ; il se fond parmi nous. Un geste évocateur, car on peut voir en ce public une image de cette Ithaque, origine et fin de cette Odyssée de l’artiste, combat éternellement recommencé. “Pour que vive la liberté, il faudra toujours que des hommes se lèvent et secouent l’indifférence ou la résignation” disait Lafayette. Aujourd’hui, la relève, ne serait-elle pas entre les mains, justement, de ce public ? Vos renouez cet été avec votre adaptation de La Peste de Camus, une œuvre que vous portez sur les planches depuis vingt-six ans. Comment parvenez vous toujours à redécouvrir le texte ? C’est comme un musicien qui interprète pendant quarante ans le Concerto de Rachmaninov numéro deux ou la Pastorale de Beethoven ou un chef d’orchestre qui dirige pendant trente ans des œuvres phares. Dans La Peste, il n’est pas question de transformation au Théâtre d’un roman. L’œuvre est déjà en elle-même théâtrale parce que Camus écrit comme un dialoguiste et non pas comme un écrivain. Les mille représentations, à chaque fois, je ne me suis pas battu contre le texte mais contre moi même pour essayer d’être le plus sincère possible, pour essayer de jongler entre les différents êtres qui s’opposent dans la pièce et je n’ai jamais senti de lassitude. Je vais m’arrêter après la millième qui aura lieu le 31 août. Ca sera la dernière fois que je jouerai La Peste, à Paris du moins. Est-ce que pour vous cette dernière représentation marquera véritablement une « fin » ? Parviendrez vous à « achever » une œuvre qui a tant marqué votre parcours ? Non, c’est impossible, elle me poursuivra tout le temps. Je n’en sortirai jamais, d’autant plus que le sens même de la pièce est terrifiant au jour d’aujourd’hui. Une nouvelle peste est en train d’envahir le monde. Dans les années 1980 les gens voyaient en elle une allégorie du sida puis dans les années 1990 – 2000, une peste politique. Aujourd’hui c’est la peste Daech. Pour vous Francis Huster, le Théâtre est un acte de révolte ? On oublie toujours que le Théâtre ne convoque pas seulement les auteurs et les acteurs, mais le public et les acteurs. C’est la grande différence avec le cinéma et la télévision et c’est la force incomparable du Théâtre. Cette pièce a été jouée devant un million de spectateurs. Elle ramène devant le public une histoire qui doit être cinématographique dans sa construction mais théâtrale dans le fait que tout ce que joue un acteur sur scène et tout ce qu’il ressent, le public le joue et le ressent avec lui. C’est à hauteur d’homme. Vous arrivez et repartez , du côté du public et vous vous adressez directement à nous, spectateurs, lors d’un préambule, avant de vous attaquer au texte ; cela confère un sentiment de proximité . Quel sens donnez vous à cela ? Quand on a affaire à un acteur seul, un narrateur qui vit une histoire devant le public, il faut absolument que le public ne soit pas « au Théâtre » . Il faut qu’il soit « à la maison ». Il faut qu’il soit chez lui, qu’il s’approprie la pièce. Le préambule est aussi là pour relâcher le public, pour qu’il ne soit pas tendu et que peu à peu il rentre dans la pièce sans s’en rendre compte, comme s’il en faisait partie lui-même. Pourquoi incarnez-vous tous les rôles dans ce seul en scène ? Camus voulait montrer que tout le monde peut devenir un salaud ou un gentil, c’est pour ça que c’est intéressant qu’une seule personne en incarne plusieurs. Vous défendez, dans deux seuls en scènes, La Peste et Le joueur d’échecs, deux auteurs, Camus et Zweig, qui ont vécu tous les deux la guerre, et qui s’érigent tous deux contre le nazisme. Ils ont à priori beaucoup de points communs. Qu’est-ce qui les sépare également selon vous ? C’est considérable ce qui sépare Camus de Stefan Zweig. J’ai écrit un livre sur Camus, Un combat pour la gloire qui est maintenant en livre de Poche et un livre sur Zweig qui s’appelle L’énigme Stefan Zweig pour essayer de percer qui il était vraiment. Je me suis aperçu dans les deux cas de contradictions totales. Camus était un orphelin, son père est mort à la guerre de 1914-1918, il n’avait même pas un an, alors que Zweig, toute sa famille s’est sacrifiée pour lui pour qu’il puisse faire de grandes études, pour qu’il puisse devenir un intellectuel et grandir dans le « paradis sur terre ». Camus est malade, il a la tuberculose, il est beau comme un dieu. Il ose dire tout haut ce qu’il pense tout bas. Il ferme la porte à dieu, au nazisme, au fascisme. Il combat. Zweig est exactement le contraire. Une forme de courage, peut-être ? Je pense que Camus a toute sa vie suivi une ligne de conduite et Zweig toute sa vie s’est faufilé. Autant je trouve Albert Camus une légende, autant je trouve que la vie de Stefan Zweig est un scandale et que sa mort est inadmissible. Chez Zweig, c’est son œuvre qui le sauve alors que chez Camus elle le précipite. Si Camus est exceptionnel c’est que son œuvre l’a bouffé, alors que Stefan Zweig c’est le contraire, c’est lui qui a violé son œuvre. Un mot sur votre actualité artistique de septembre ? Le 17 septembre ça sera Avanti !, un chef d’oeuvre de la comédie américaine. C’est la rencontre improbable d’un couple. Toutes les ficelles de la comédie américaine sont là, on rit, on pleure, et le texte est merveilleux. Tout le monde en prend pour son grade , l’héroïne, ses amants, les technocrates, tout le monde. Baptiser une station de métro Albert Camus : votre prochaine requête auprès d’Anne Hidalgo (Rires) ? Si je la rencontrais ça serait la première chose que je lui demanderais ! Je trouve qu’il y a des stations qui devraient porter la trentaine de noms des gens qui ont tout fait pour ce pays ! Tu ne m’as pas posé une question sur le PSG ! Il va se passer des choses extraordinaires, vous allez voir ! (Rires)
Propos recueillis par Jeanne Rolland
[Visuel : Francis Huster, La Peste, Théâtre des Mathurins, 2015 © Christine Renaudie] |
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