“Fin de partie” et “En attendant Godot” : deux pépites théâtrales signées Samuel Beckett
En ce début d’année, on célèbre Samuel Beckett avec de magnifiques comédiens qui incarnent ces paumés de la Terre dans deux spectacles d’exception. Fin de partie, mise en scène de Jacques Osinski, poursuit sa route, après un triomphe au Festival d’Avignon, au Théâtre de l’Atelier. En attendant Godot, dans la mise en scène d’Alain Françon, s’installe à La Scala après Fourvière et le Festival de Roussillon. Inutile de choisir, tout amoureux du théâtre et des acteurs doit impérativement voir les deux spectacles qui sont magistraux.
Fin de partie : un génial pied de nez au malheur
“Rien n’est plus drôle que le malheur” confie l’un des quatre personnages de la pièce la plus énigmatique, la plus cocasse, la plus désespérée de Beckett. Le metteur en scène Jacques Osinski, qui s’est déjà attaqué à plusieurs oeuvres de l’auteur irlandais, dont Cap au pire, La dernière bande et L’image avec l’acteur Denis Lavant, retrouve ce dernier dans cette fin de partie métaphysique et burlesque qui est un véritable chef-d’oeuvre théâtral. Avec l’immense Frédéric Leidgens qui incarne Hamm, un aveugle paralytique cloué dans son fauteuil et donnant sèchement des ordres à son fils adoptif qu’il prend pour son domestique, Denis Lavant est Clov, ce pantin désarticulé qui met en scène une comédie morbide en grimpant aux fenêtres pour faire entrer la lumière de la vie. Deux vieux géniteurs, ceux de Hamm, croupissent dans de grandes poubelles de cuivre et sortent de temps en temps une tête, des yeux, des mains et un sourire. Claudine Delvaux et Peter Bonk sont ces deux séniors magnifiques, tendres et terriblement vivants. Où est-on ? Et que racontent-ils, ces personnages étranges qui semblent mettre en scène leur existence comme des romanciers, maîtrisant répliques et didascalies, mensonges et aveux tragiques, grivoiseries et blagues scatologiques ? Beckett s’amuse avec ces personnages qui nous parlent de nous, de ce présent qui n’en finit pas de passer, de ce bout de route qui est notre lot à tous. La mise en scène sensible, précise et lumineuse de Jacques Osinski laisser le champ libre à ces virtuoses comédiens poètes qui nous embarquent très loin, mais très près de nous, dans ce cauchemar qui cherche en permanence l’utopie, de notre vie de misère et de merveilles, et que seul le théâtre dans un moment de grâce peut nous offrir.
En attendant Godot : un grand classique magnifique
Le plus grand succès de Samuel Beckett, celui qui le fera connaître mondialement, est aussi celui qui nous fera toucher le plus intimement l’absurdité de notre condition humaine. Qui est Godot, celui qu’on attend des jours et des nuits entières ? Qui est Pozzo, le cruel marchand qui maltraite son esclave en le rouant de coups ? Alain Françon monte la pièce avec une élégance et une simplicité impressionnantes, sans donner ni livrer aucune réponse à ces questions et à ces mystères. Vladimir, Gilles Privat, et Estragon, André Marcon, sont les deux versants d’un même miroir tacheté de rouille. Le premier, Vladimir, est d’une folle gaieté, d’une innocence adolescente, pour protéger le second, Estragon, râleur et sauvage. Les deux acteurs rivalisent d’humanité et de vérité, vieux garçons encore gamins, roublards, rusés et puérils à la fois face au Pozzo de Guillaume Lévêque et au pauvre Lucky d’Eric Berger qui semble à lui seul concentrer toute la misère du monde. Les costumes de Marie La Rocca, la belle scénographie de Jacques Gabel éclairée subtilement par Joël Hourbeigt, participent de la réussite de cette production d’une savoureuse fantaisie, d’une cruelle vérité. Un chef-d’œuvre absolu qui prend vie pour notre plus grand bonheur.
Hélène Kuttner
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