Festival d’Avignon 2024 : “La vie secrète des vieux”, ode magnifique au désir
À la Chartreuse de Villeneuve lez Avignon, l’auteur et metteur en scène Mohammed El Khatib nous fait rencontrer huit personnes âgées qui racontent leur désir amoureux et leurs pratiques secrètes. Enfin, pas tout à fait, car ces secrets intimes sont de petits trésors qu’ils ont plaisir à nous confier mais qu’ils ne confieraient pas à leurs enfants ! Un spectacle magnifique, émouvant et drôle, fruit d’un sérieux travail documentaire, mais qui réjouit l’âme en ne parlant que de vie et de désir.
Jacqueline, 91 ans, est une ancienne présentatrice des journaux télévisés de la Radio-télévision belge, se confie la première : J’ai envie de faire l’amour tous les jours. Ce qui me manque, c’est de ne plus embrasser quelqu’un sur la bouche clame cette femme imposante et encore belle, sur son fauteuil roulant. L’articulation de ses mots reste parfaite, souvenir de trente neuf ans de journalisme télévisé auquel se mêle un amour immodéré de la poésie française. La poésie, il faut l’apprendre par cœur. D’ailleurs, un peu plus tard dans le spectacle, c’est elle qui jouera Bérénice, déclamant de sa voix puissante les alexandrins déchirants de l’amoureuse bafouée. Mais voici Annie, ex-chirurgienne, octogénaire, silhouette dynamique en pantalon moulant noir, qui nous raconte de quelle manière elle a pu découvrir à l’hôpital des pratiques bizarres, entre le crucifix, le vagin, un vase chinois et le rectum ! Martine, ancienne médecin généraliste, a refait sa vie à 75 ans, malgré la rigueur morale de son éducation chrétienne.
Des femmes et des hommes, rencontrés pour la plupart dans des Ehpad ou par petites annonces, se confient sur leur vie intime, malgré une déchéance physique qui amoindrit leur état général. En chaise roulante, avec un déambulateur, munis d’une canne ou sans rien, ils disent leur attachement à une sexualité choisie, désirée, au contact physique et à l’invention de nouvelles pratiques. Mais ce qu’ils expriment avant tout, c’est un désir de liberté. Les enfants ont grandi, le conjoint n’est plus forcément en vie, mais il faut survivre et jouir de la vie. Et dans toutes ces histoires, que Mohamed El Khatib a judicieusement adaptées, après avoir mené une centaine d’entretiens après la période du Covid, le désir, l’innocence et la joie sont les vecteurs de cette renaissance. Pour contredire l’image infantilisante dans laquelle on enferme les personnes âgées, en raison de leur perte d’autonomie et de leur dépendance, le metteur en scène sociologue leur donne la parole à l’endroit même du non-dit.
Dans ce flot d’aveux généreusement offerts, il n’y a pas d’impudeur mais juste de l’émotion, et elle submerge le public. Beaucoup d’humour aussi dans ces aventures abracadabrantes que nous révèle, avec la fraîcheur d’une jeune star de Bollywood, Yasmine, 35 ans, aide-soignante qui veille attentivement au bon déroulement du spectacle, poussant les fauteuils mais aussi la chansonnette, de Dalida à Puccini en faisant le grand écart dans un déluge de paillettes. On rit beaucoup dans ce spectacle, car ils sont tous formidables ces êtres qui bravent le temps, la maladie, pour clamer leur désir de vie, leur volonté de choisir et de continuer à aimer en interprétant Roméo et Juliette de Shakespeare ou On ne badine pas avec l’amour de Musset. D’ailleurs, Mohamed El Khatib prévoit en même temps que la tournée de ce spectacle, qui dépend aussi de la santé des acteurs, un film documentaire qui sortira en 2025.
Hélène Kuttner
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