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Festival d’Avignon 2009 : du sang, des promesses, une humanité à consoler…

2 juin 2009
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On a craint dans des débats bien trempés que l’édition 2005 ne tonne la fin d’Avignon, cette fin si redoutée d’un festival théâtral immense, si fort  d’être l’incarnation symbolique de la rémanence du rêve de Vilar. Les courbes d’ores et déjà dessinées de l’édition 2009 laissent plutôt présager d’une sorte de retour d’Avignon, du retour à un théâtre des anciens néanmoins capable de s’ancrer dans son temps, et ce à force de sagas saignantes, flamboyantes d’aller chercher l’incohérence du monde dans les replis de violences  atemporelles, aussi intimes qu’universelles.
Le  choix de l’artiste associé de ce 63ème festival d’Avignon réjouit, car il témoigne tout autant de la volonté d’une édition favorable à la réhabilitation d’une dramaturgie de la narration et des origines, qu’à l’affirmation d’un fort désir d’ouverture. Wajdi Mouawad. Ce nom, désormais régulièrement scandé en tout point de l’hexagone, a tout d’abord été plébiscité en Rhône-Alpes où l’auteur et metteur en scène a pu déployer son art en une dizaine d’année, appuyé des scènes nationales de l’Hexagone Meylan et de l’Espace Malraux de Chambéry. Son œuvre torrent, plus identitaire que politique, plante ses racines dans une horreur qu’il faut aller regarder totalement, pour déceler derrière elle des restants d’humanité mais surtout pour y rencontrer la nécessaire vérité. Vincent Baudriller et Hortense Archambault inscrivent leur programmation, depuis cette association première, en cohérence avec leur idée que  « l’homme a besoin de raconter des histoires car elles lui confèrent son humanité, lui permettent d’appréhender le monde et de combattre la tentative d’amnésie ».
Depuis Wajdi Mouawad  jusqu’à Amos Gitaï, et ce sans exclure des artistes tels Jan Fabre ou Jan Lauwers qui sont d’insolents catalyseurs des dérives occidentales, les deux jeunes directeurs ont choisi d’ouvrir leur programmation au monde entier. Un festival 2009 métissé donc. Mais agité encore et surtout, du désir cathartique d’appuyer pour soulager. Pour appuyer, on considère ces « charniers », comme les appelle Wajdi Mouawad, ces points sombres de l’humain et de la société qui sonnent comme autant de prises idéales à la narration d’une humanité non résignée.

Le Sang des promesses : Avignon l’écoule en intégrale !

Wajdi Mouawad avait annoncé son désir de parvenir à un quatuor alors que Littoral le révélait en 1997. Le quatrième et dernier volet de son ouvrage pluriel, Ciels, vient tout juste d’être achevé et sera présenté pour la toute première fois en Avignon cet été. Si Le Sang des promesses constitue une tétralogie qui prend valeur d’entité, le potentiel de divisibilité de cette œuvre la rend plus accessible. En effet, chacune de ses pièces prise isolément, s’apparente déjà à une épopée majeure.
L’identité, le déchirement de l’exil, la guerre, le père inconnu, les violences familiales et sexuelles… C’est avec ces thèmes foudroyants que Wajdi Mouawad parvient à embraser sans complaisance les scènes sur lesquelles il choisit de déployer son art, et un art qui peut bien être qualifié de total. Ses protagonistes, il les enfonce toujours dans une terrifiante quête aux allures de croisade identitaire. Entre la détermination et la rage, ceux-là remontent déconcertés le long des pervers méandres de leurs origines. Presque toujours à la limite, sur le fil branlant du réel, ils se découvrent à force d’une traversée à rebours d’un espace et d’un temps qu’ils n’ont pas connus. C’est quoiqu’il en soit parce qu’ils creusent le sillon de l’horreur originelle, et recouvre par là une mémoire qui est d’abord celle de leurs ancêtres, qu’ils finissent par trouver qui ils sont et pourquoi ils ont mal.
Parce que tout s’effondre, parce que la vie prend de fait une tournure apocalyptique, on voudrait trouver du réconfort dans l’impossible réalité des histoires racontées ; le ton juste emprunté par les mises en scènes de Wajdi Mouawad nous prive de ce potentiel de fuite. Les interprètes choisis, vigoureux, charnels et incandescents, incarnent ses personnages avec une telle évidence qu’ils les font vrais, crédibles, et a fortiori émouvants. Quant aux décors, impressionnants mais épurés, ils permettent la traduction scénique limpide d’une trame narrative complexe, fondée sur un enchevêtrement des temps et des lieux, mais encore sur la confrontation confondante des morts et des vivants.
C’est dans la cour d’honneur du Palais des Papes que les trois premières fresques de ce quatuor seront jouées cet été en continu, de 22h30 à 6h30 du matin. Les amoureux des marathons nocturnes en Avignon sauteront certainement sur l’occasion… Pour les autres, l’expérience ne peut être que porteuse ! Il faut peut-être se laisser sombrer le temps d’une nuit, et se perdre dans les dédales d’un univers dont Littoral, Incendies et Forêts incarnent différentes approches. Dans Littoral, Wilfried enterre un père inconnu dans le pays de sa naissance, pays qui lui est également inconnu. Avec Incendies, ce sont aux jumeaux Jeanne et Simon de partir sur les traces d’un père qu’ils croyaient mort, et dans le pays natal d’une mère qui leur a laissé cette singulière mission en héritage. Enfin, la Loup de Forêts est poussée sur le chemin des ancêtres par l’indiscernable du mal de vivre qui la ronge.
On attend plus que de découvrir Ciels au Parc des Expositions de Chateaublanc, d’autant que l’on nous laisse présupposer d’une création forte de renverser les acquis des précédentes… Toujours est-il que Le Sang des promesses a suffisamment coulé pour nous assurer des délicieux bénéfices de son aspect cathartique, et qu’il est dur de ne pas devenir liquide devant l’une ou l’autre de ses parties. Reste à croire ou non à la nécessité d’un regard porté sur le « couteau planté dans la gorge », à la vérité donc comme seule porte d’entrée vers une  vie d’adulte dépossédée de ses souffrances d’enfant, ou d’antan.
Christine Sanchez

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