Festival d’Automne : Le meilleur de la danse
Anne Teresa De Keersmaeker, surtout, mais pas que : Résolument internationale, la 38e édition du Festival d’Automne s’offre comme une intégrale de la grande dame flamande et présente également une première mondiale de Lia Rodrigues, accompagnée des dernières créations signées Bouchra Ouizgen, Noé Soulier, Bruno Beltrao, Saburo Teshigawara et Ola Maciejewska.
Teresa de Keersmaeker, aujourd’hui Première Dame de la danse contemporaine, n’aura jamais été aussi présente des deux côtés du Périphérique parisien. Le portrait que lui consacre le Festival d‘Automne en 2018 s’étend de « Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich », sa pièce fondatrice qui fit l’effet d’une bombe en 1982, à sa dernière création en date, « Mitten wir im Leben sind – Bach6Cellosuiten ».
Une dizaine de pièces au total, d’une même chorégraphe, dans une seule édition d’un festival! S’y ajoutent un « Slow Walk » parisien, façon de lancer une opération chorégraphique et pédestre face à l’accélération apparemment obligée de notre quotidien. Voilà qui dit aussi que la source de la danse, chez De Keersmaeker comme en général, est à chercher ailleurs que dans le mouvement frénétique.
De Keersmaeker, au cœur de la vie
« Slow Walk », donc, et avec raison: Qui va piano, va sano, va lontano… On la verra au Centquatre-Paris avec la reprise de « Rosas danst Rosas », une de ses pièces fondatrices. Elle vient par deux fois avec le Théâtre de la Ville : A l’Espace Cardin avec « Verklärte Nacht » (La nuit transfigurée) et au Théâtre des Abbesses avec « Zeitigung » (Les marques du temps), une pièce qui découle de « Zeitung », une de ses grandes pièces précédentes, et nous parle du passage du temps, sur musique romantique (Bach, Brahms) et contemporaine (Webern, Schoenberg).
Si on ajoute « Mitten im Leben wir sind » (Au milieu de la vie nous sommes), présenté à la Philharmonie, on remarque chez la chorégraphe un fort penchant de pour le romantisme allemand. S’y ajoutent « Rain (live) » à La Villette et, au Centre Pompidou, « Quartett » – la collaboration historique de la chorégraphe avec la compagnie de théâtre TG Stan, fondée par sa sœur, Jolante de Keersmaeker, et non moins une référence, présente à Paris pour quasiment chaque édition du Festival d’Automne.
Mais le festival offre surtout des rencontres avec l’œuvre de Keersmaeker tout autour de Paris, là où on ne l’a jamais (ou très peu) vu avant : A Alfortville, à Châtenay-Malabry, à Gennevilliers, à Pantin, à Pontoise, à Rambouillet, à Rungis, à Saint-Ouen, à Sénart, à Vitry-sur-Seine… Et il faut les fêtes de Noël pour mettre fin à la présence d’Anne Teresa de Keersmaeker à et autour de Paris.
Japonismes d’Automne
Une autre manifestation domine cet automne: Le Cycle « Japonismes » dresse un portrait artistique de l’Empire Nippon, de ses traditions à des artistes actuels qui les revisitent sous un jour plus distant. Avec « Sambasô, danse divine », une véritable dynastie, les Nomura, dévoilent leur art, le Kyôgen, ce théâtre chorégraphique aux ambiances dramatiques et comiques. Mansaku Nomura, le père, et Mansai, son fils, mènent ensemble une troupe qui revisite, à l’Espace Cardin du Théâtre de la Ville, une danse sacrale fondatrice de la civilisation japonaise, dans la finesse et la puissance qui caractérisent tant d’arts japonais.
Avec Saburo Teshigawara et son épouse Rihoko Sato, on retrouve un couple emblématique de la danse contemporaine mondiale. Leur geste aérien et léger, faisant du corps une sorte de papier japonais, est inégalé, malgré (ou grâce à) l’âge avancé du maître. Teshigawara présente à Chaillot – Théâtre National de la Danse, un duo chorégraphique à partir de l’Idiot de Dostoïevski, sans texte mais en mettant son art corporel au service d’une incarnation plus théâtrale qu’à son habitude.
La découverte nipponne sera Takao Kawaguchi, avec une idée pour le moins singulière. Il se réfère à l’œuvre du fondateur du butô, Kazuo Ohno, et sa légendaire capacité à transcender sa masculinité et la matérialité du corps. Pourtant, Kawaguchi n’a jamais vu un spectacle d’Ohno en live. Et peut-être en est-il mieux ainsi. Car le but n’est en rien de produire une copie, mais de trouver un chemin vers soi, à travers des chefs-d’œuvre d’Ohno, en questionnant son propre corps et son temps, à travers une identité chorégraphique révolutionnaire.
Perspectives brésiliennes
Autour de la Baie de Rio, ça se gâte. Lula reste en prison, et les tensions sociales s’exacerbent. Lia Rodrigues et Bruno Beltrao se trouvent en première ligne. Rodrigues qui dirige son école de danse dans l’une des favelas de Rio, annonce une nouvelle création pour Chaillot, sous le titre provisoire de « Furia », où elle se soucie tout particulièrement du collectif et du corps social, avec la fibre sensuelle et festive qu’on lui connaît, à travers tous les cataclysmes qu’elle sait transformer en émerveillements scéniques.
Non loin de Rio, à Niteroi, Bruno Beltrao réussit une prouesse toute latine, celle d’être à la fois le Mourad Merzouki et l’Anne Teresa De Keersmaeker de son pays. Son approche du Hip Hop est graphique, diaphane et aérienne, dessinant au sol des lignes de fuite aussi élégantes que celle de la directrice de la compagnie Rosas, en mariant exigence et sensibilité. « Inoah », présenté au Centquatre-Paris, est un nouvel avatar de ce langage si singulier, annonçant une danse de l’avenir.
Percussions et fusions
Trois pièces chorégraphiques de cette édition du Festival d’Automne jouent avec la musique. Noé Soulier, nouveau prodige de la scène française, sera à Chaillot avec une pièce percussive, où le rythme et le mouvement ne font qu’un. Mais qui alors pense à une école de samba, a tout faux. Ici, les variations sont infinies et aucun mouvement, aussi graphique soit-il, n’est prévisible.
La recherche d’une relation fusionnelle entre danse et musique, très en vogue en ce moment, est peut-être le contrecoup de l’indépendance de la danse établie depuis Merce Cunningham. En voici un nouvel exemple : La Polonaise Ola Maciejewska remet au goût du jour un instrument de musique bien particulier, à savoir le thérémine, instrument électronique vieux d’un siècle, adopté n leur temps par John Cage et Merce Cunningham, qui permet à la danseuse de faire de ses mouvements la source même de la musique de son spectacle. Son « Dance Concert » part à la recherche d’une relation parfaitement organique entre le corps et le son.
Et au Centre Pompidou on verra Bouchra Ouizgen donner le vertige à Carte Blanche, la compagnie nationale contemporaine de la Norvège. Où elle fait tourner quatorze danseurs jusqu’à leurs limites physiques, au son de la Dakka Marrachkia Baba’s band. Aux rythmes gnaoui obsédants, « Jerada » interroge, dans une ambiance nocturne, le rapport des danseurs aux espaces intérieurs et indicibles. Une confrontation culturelle sulfureuse…
Thomas Hahn
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