Festival Avignon Off 2024 : nos coups de cœur suite / 3
Suite de notre sélection des spectacles Off au Festival d’Avignon avec des créations contemporaines, des textes forts, portés par des acteurs vibrants et vivants. Au menu, Virginie Despentes, Léonore Confino, Ivan Calberac et bien d’autres à découvrir.
Vernon Subutex au Train Bleu
Voici une vrai beau travail de troupe, une création ambitieuse qui nous rend amoureux du chef-d’œuvre de Virginie Despentes publié de 2015 à 2017, en trois tomes foisonnants et iconoclastes. Elle y raconte, de sa plume vitriolée, avec son ironie acide, la vie marginale d’un disquaire de 45 ans, Vernon Subutex, devenu pratiquement SDF à la suite de la crise du disque. Romantique mais pragmatique, sentimental mais nihiliste, Vernon devient une légende urbaine, un ange déchu dont chacun cherche délibérément à percer le mystère. Autour de lui, une myriade de femmes et d’hommes nostalgiques retrouvent en lui la splendeur des années 80, celles des radios libres et de l’amour du rock, du punk, mais aussi le gouffre vertigineux de la drogue, tandis que la société marchande monnaie les plaisirs interdits.
Elya Birman et Clémentine Niewdanski, tous deux comédiens, ont adapté cette œuvre monde qu’ils interprètent avec Jean-Christophe Laurier (Vernon), Nolwenn Le Du et Pauline Méreuze, qui campent la faune des personnages. Le guitariste et créateur-son Vincent Hulot les accompagne de ses compositions bigarrées de rock et de techno. Le résultat est magnifique. Les comédiens sont tour à tour narrateurs du roman et acteurs, les scènes s’emboitent avec naturel et simplicité. « Nous sommes tous des vaincus » clament ces quadragénaires que la société de winners refuse de considérer. Et la langue de Despentes, sa puissance cristalline pour démonter les rouages de la marginalité, la fragilité des perdants et des artistes, mais aussi son humour dévastateur, sa lucidité, trouvent ici des interprètes d’une justesse parfaite, capables de nous plonger dans cet entre-deux nocturne entre fureur et poésie, d’un romantisme noir.
Du 3 au 21 juillet à 22h25, relâches les lundi 8 et 15
Ring, variations du couple au Théâtre Actuel Avignon
Pourquoi Adam et Eve sont-ils condamnés à vivre éternellement l’un avec l’autre ? Comment et pourquoi se rencontre-t-on ? Et à quel moment finit-on par ne plus se supporter ? A partir de quand les caresses se transforment-elles en coups, les baisers en invectives violentes, les œillades coquines en jalousie dévastatrice ? L’autrice Léonore Confino compose un délicieux et féroce moment de théâtre dans lequel elle anatomise le couple sous tous ses aspects. De la rencontre téléguidée par des proches au flirt dans un bal de mariage, de la première tétée du bébé à la découverte d’un journal intime compromettant, les scènes se succèdent comme l’effeuillage d’une vie commune, pimentées par les conflits, l’égocentrisme masculin et la pugnacité féminine.
Dans un décor en forme de cocon végétalisé, dont le canapé blanc moelleux fait figure de lit, de baignoire ou de terrain neutre, les deux Camille, la splendide Dina Djemba et le flegmatique Amaury de Crayencour, s’aiment en s’entredévorent comme sur un ring. Dirigés à la perfection par Côme de Bellescize dans de belles lumières et un environnement musical jazzy, les deux comédiens rivalisent de sincérité et de férocité tendre, en quête perpétuelle d’un « couple idéal » dont on sait qu’il n’existe pas. Délicieusement féroce et drôle.
Du 29 juin au 21 juillet à 10h, relâches les 3, 10 et 17 juillet. Reprise au Théâtre de l’Œuvre à Paris à partir du 3 septembre.
Like au Théâtre des Béliers
Molière, Marivaux, Pinter, tous les grands auteurs ont utilisé notre vie de tous les jours, nos dérives, nos tendances de fond et nos réflexes ridicules, pour en faire les plus épatantes comédies au théâtre. Ivan Calbérac, l’auteur de La Dégustation et de Glenn, naissance d’un prodige s’attaque avec fureur et délectation au phénomène dévastateur des réseaux sociaux sur une jeune femme en manque d’assurance. Lou, incarnée avec beaucoup de fraîcheur par Lison Pennec, est pétrie de chagrin : le selfie qu’elle a posté la veille sur son réseau préféré n’a récolté aucun like. Son ami Zac, joué par Mathieu Métral, lui-même addict aux réseaux, est en train de déceler des envahisseurs terrestres dans tous les chats qu’il aperçoit !
Il tente bien de rassurer la jeune femme qu’il aime, mais rien n’y fait. Le zéro like devient une obsession, et Lou, à la recherche d’une image d’elle qui soit parfaite donc convoitée, se lance donc dans une infernale course à la perfection, passant du coiffeur au relooker, du chirurgien esthétique aux bureaux d’Instagram pour y déposer un recours. En quelques scènes, menées tambour battant avec la complicité de l’excellent Benoît Tachoires qui passe du vigile compatissant au chirurgien esthétique de la Clinique des Champs-Elysées, en passant par l’agent sirupeux des influenceurs, la pièce percute de plein fouet les perversités malignes de nos désirs et de nos envies, nourris de nos peurs, de nos mensonges et des fausses prétentions. Sur un plateau à l’esthétique glacée, dont l’écran géant d’un portable affiche des messages, cette course à l’image virtuelle s’avère mortifère. Le jeune couple en réchappera. Une réussite.
Du 3 au 21 juillet à 13h55, relâches les 8 et 15 juillet.
La voix d’or à Théâtre Actuel Avignon
Il y a des spectacles qui nous emportent comme des chansons, surtout quand celles-ci nous plongent dans des histoires familiales qui mêlent la grande et la petite histoire. La pièce débute par une rencontre amicale entre un producteur et un auteur en panne d’inspiration. On échange, on se taquine entre vieux copains, on plaisante. Progressivement, Guillaume le producteur se met à souffler à Eric l’auteur et metteur en scène, les indices d’une fantastique histoire … Mais oui ! Guillaume avait bien un grand-père chanteur, Charles Gentes, surnommé « La voix d’or » qui se produisait avec sa femme dans les cabarets de Montmartre et dans les premières émissions de télévision, dans les années 50. Aux Trois Baudets et chez Patachou, seront donc le point de départ d’une histoire vraie, celle d’un homme pris dans l’étau de la seconde Guerre mondiale et dans la résistance armée, mais qui a pu, grâce à son talent vocal et à sa beauté physique, avoir eu son heure de gloire.
La pièce d’Eric Bu, metteur en scène, et de Thibaud Houdinière, producteur, déroule ainsi ses pépites musicales et familiales de la France à l’Egypte, en laissant sur le carreau des vies de femme et de jeune fille, soumises à l’extrême violence des traumatismes. Elodie Menant, Sandrine Seubille, Grégory Benchenafi, Stéphane Giletta, Benjamin Egner et Charlie Fargialla sont les interprètes remarquables de cette histoire dans laquelle chacun joue, chante et danse. Dans un décor artisanal à la poésie baroque, on chante Aznavour, Ferré et Brassens, on s’aime et on s’engueule, on s’embrasse et on se déchire. Stéphane Isidore accompagne au clavier tout ce petit monde, tout en soufflant dans son mini harmonica et c’est stupéfiant. On aura vécu mille vies, traversé le vingtième siècle, connu de vrais personnages façonnés par la fiction du théâtre. Un régal.
Du 29 juin au 21 juillet à 11h45, relâches les 3, 10 et 17 juillet.
La disparition de Josef Mengele au Théâtre du Chêne noir
Josef Mengele, le médecin d’Auschwitz, surnommé l’ « Ange de la mort », a fui en Argentine en 1949 après avoir envoyé près de quatre cent mille hommes, femmes et enfants dans les chambres à gaz, entre 1943 et 1945. Durant près de quarante ans, ce médecin nazi, coupable d’expérimentations atroces sur des déportés vivants, a pu bénéficier du soutien et de l’aide active de sa famille allemande, de ses amis et des autorités des pays d’Amérique du Sud grâce auxquels il a pu survivre et se dissimuler sous une fausse identité. L’écrivain et journaliste Olivier Guez a travaillé durant trois ans sur le roman autobiographique de Josef Mengele, pour lequel il a reçu le Prix Renaudot en 2017. Ses recherches détaillent le parcours intime du monstre nazi, ainsi que l’impunité totale dont il a bénéficié, pour mettre en valeur la rencontre, à la fin de sa vie, avec son fils Rolf qui fut le seul à lui demander des comptes. A son tour, le comédien Mikael Chirinian a décidé d’adapter ce récit pour le théâtre, de manière à comprendre les mécanismes et explorer le mal radical. Avant d’être un monstre, Mengele est un homme ordinaire. Le spectacle débute par son arrivée à la douane argentine, sous un faux nom, avec une valise contenant des seringues sous-cutanées.
Il a fuit l’Allemagne non par culpabilité, mais parce que son pays, malheureusement, a perdu la guerre. Dans la mise en scène intelligente de Benoît Giros, le comédien prend en charge ce récit, impassible, assis sur une chaise. Son jeu est hallucinant de concentration. Il est le personnage de Mengele tout en étant dissocié, créant pour le spectateur un troublant effet de réel, entre l’homme ordinaire et le tortionnaire. Mais l’acteur ici est prodigieux de puissance, de concentration et de profondeur dramatique. Assis ou debout face aux murs de photos de dignitaires nazis, passant de la colère froide au rugissement de bête traquée, l’acteur nous saisit en se faisant l’interprète charnel de ce texte vertigineux, dont il s’empare de manière grandiose. « Toutes les deux ou trois générations, lorsque la lumière s’étiole et que les derniers témoins des massacres précédents disparaissent, la raison s’éclipse et des hommes reviennent propager le mal. Méfiance, l’homme est une créature malléable, il faut se méfier des hommes. » écrit l’auteur. Un spectacle nécessaire et totalement bouleversant.
Du 29 juin au 21 juillet à 18h, relâches les 1, 8 et 15 juillet.
Scum Manifesto, sous la tonnelle du Hughson Théâtre
Scum Manifesto est un manifeste féministe radical, écrit en 1967 par la new-yorkaise Valérie Solanas. Proche d’Andy Warhol, elle ira jusqu’à le menacer avec un revolver s’il ne publie pas son texte. Erigée en icône queer et féministe, elle prône l’effondrement du patriarcat pour une meilleure redistribution des richesses dans un discours injonctif, autoritaire et sans concession. Luc Clémentin propose, avec son compère William Prunck, une lecture passionnante, car masculine, de ce pamphlet. Les deux acteurs sont face à face et c’est tout l’intérêt, dans leur bouche, de partager cette diatribe qui interpelle aujourd’hui plus que jamais. « Le mâle est un accident biologique, une femelle manquée, un avorton congénital » clame le texte. A voir et à entendre pour découvrir une activiste stupéfiante qui fut écartée parce qu’elle dérangeait trop.
Du 13 au 19 juillet, à 10h.resacollectif24@gmail.com
Hélène Kuttner
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