Festival Avignon Off 2024 : nos coups de cœur suite / 2
Pour ne rien rater des meilleurs spectacles dans le Off d’Avignon, nous poursuivrons notre sélection critique des créations qui nous font vibrer cette année.
“Du Charbon dans les veines” au Chien Qui Fume
Voici un spectacle formidable, une virée dans l’histoire et dans la géographie de la France à travers la vie de deux familles liées par le travail, l’amitié et l’amour. Nous sommes en 1958, à Nœux-Les-Mines, une ville minière de la banlieue de Béthune. Dans le café chaleureux de Simone, les mineurs, jeunes ou vieux, se réunissent pour partager un café calva le matin ou pour siroter une gnôle le soir, cet alcool bon marché obtenu par la macération de fruits et de céréales. On oublie un moment la dureté de ce métier qui abime les poumons dès 20 ans et où la mort est omniprésente, que ce soit par le risque d’éboulement, les maladies qui empoisonnent le sang ou qui épuisent les corps. Sosthène, le mari philosophe et bout-en-train de Simone, a décidé de rendre à tous la vie plus douce, lui qui a consacré la sienne entière à creuser les entrailles de la terre.
A la tête d’un orchestre local d’accordéon, il convainc les jeunes de participer à un concours régional de musique. Pierre, le fils de Simone et de Sosthène, un beau garçon, excellent musicien, réunit ses copains, dont son meilleur ami Vlad, le fils d’un mineur polonais, expert en accordéon. Quand survient la jolie Leila, la fille d’immigrés marocains, dont les doigts de fée dessinent sur l’accordéon de lumineuses harmonies, le duo de copains vient à se fissurer et les cœurs s’emballent. Jean-Philippe Daguerre a écrit un magnifique texte dont les dialogues, nourris de vérité historique et d’humour tendre, font mouche à chaque instant. Il faut dire que les comédiens qu’il dirige, Raphaëlle Cambray, sublime d’émotion, Jean-Jacques Vannier, impérial, Aladin Reibel, magistral, mais aussi Juliette Béhar, Julien Ratel et Théo Dusoulié, les trois jeunes, tous sont bouleversants. Un grand moment entre rires et larmes.
À 14h50, relâche les mercredis 3,10 et 7 juillet
Un songe d’Ernest Cucchero au Théâtre des Corps Saints
Amateurs de thrillers métaphysiques, d’intrigues oniriques ou de songes littéraires, voici une création signée Mathieu Buscatto qui en séduira plus d’un. Acteur de sa propre pièce, ce dernier compose avec élégance une histoire qui nous transporte constamment entre le réel et le rêve, au fil de dialogues ciselés et vifs, qui évoquent le désir de créer, celui de transmettre, le lien aux enfants et l’énergie créatrice. Au départ, nous sommes à l’entrée d’un musée d’art contemporain, avec une ravissante hôtesse qui semble préoccupée par des considérations très prosaïques. Survient un personnage nommé Ernest, qui exhorte la jeune femme à lui donner son avis sur l’art contemporain et notamment cette nouvelle exposition dédiée à un jeune plasticien polonais. Ernest y va de sa harangue, déploie sa colère, exige des explications sur ce qu’il considère une « merde » esthétique. Sarah, l’hôtesse de caisse, semble détachée.
S’engage une discussion plus intime qui révèle que ces deux-là ont davantage en commun qu’ils n’y paraît. Au deuxième tableau, c’est Ernest, qui est écrivain, que l’on retrouve à son bureau avec sa machine à écrire. Il attend une étudiante en master, passionnée par ses livres et désireuse d’explorer le monde secret de l’écrivain. La jeune Sarah revient, mais elle a troqué sa robe sage pour un short élimé sur un panty noir à trous. Est-ce la même jeune femme ? Et pourquoi cette insistance à interroger Ernest ? A toutes ces questions, le spectacle ne cesse d’ajouter des réponses vagues, en forme de mises en abyme successives, constituant l’infernal mille-feuilles de cette intrigue à la fois fantaisiste mais oh combien fascinante. Dans un décor fluide de Jean-Michel Adam et des lumières de Christian Pinaud, Mathieu Buscatto et Chloé Renaud, mis en scène finement par Carine Montag, sont les beaux interprètes de cette énigme à l’acidité fort savoureuse.
À 13h20, du 3 au 21 juillet. Relâche les mardis 9 et 16 juillet.
PUNK.E.S ou comment nous ne sommes pas devenues célèbres à la Scala Provence
Elles reviennent en beauté, ces jeunes interprètes musiciennes, danseuses et actrices au nombre de cinq, qui acceptent tout de même de faire équipe avec un garçon musicien qui les soutient toutes avec son cœur et son professionnalisme. Et leur spectacle, qui avait fait fureur l’an dernier dans ce même Festival d’Avignon et dans ce même théâtre, reprend son élan avec la même folie, la même générosité et le même talent aujourd’hui pour le plus grand plaisir des jeunes et des moins jeunes. Les deux autrices, Rachel Arditi et Justine Heynemann, qui en assure la mise en scène, sont nées dans les années 70. Elles ont voulu rendre hommage au premier groupe de punk féminin, les SLITS, créé en 1976 et dissous quatre ans plus tard à Londres. Ari Up, jeune guitariste de 14 ans, s’entoure de ses amies Viv Albertine à la guitare, Palmolive à la batterie et Tessa Politt à la basse.
Nous sommes en pleine crise économique et Margaret Thatcher, la Dame de fer britannique, est en passe de traiter la crise par un libéralisme total. Les SLITS (les fentes en français!) travaillent d’arrache pied pour produire un album atypique, mélange de punk et de ska rythmées par des basses aux influences reggae. Leurs chansons dénoncent le rôle dévolu aux femmes, prônent l’insoumission et sont chantées à plein tube comme dans des bacchanales. Entre les Clash et les Sex Pistols, Rachel Arditi, Charlotte Arias, Salomé Dienis Meulien, Camille Timmerman, Kim Verschueren et James Borniche rivalisent de talent et d’énergie dans des costumes incroyables, sur un plateau livré à l’effervescence et à l’irrespect. C’est drôle, déjanté et d’une énergie délibérément salutaire. Les SLITS sont les seules à être parvenues à conserver la gestion de leur image dans le monde du show bizz, ce qui est tout à leur honneur !
À 20h55, du 3 au 21 juillet. Relâche les lundis 1, 8 et 15 juillet.
La Cabane de l’architecte au Collège de la Salle
Pour leur dernière création, la compagnie Influenscènes frappe une nouvelle fois très fort avec l’histoire véridique, écrite pour la scène par Louise Doutreligne, du célèbre architecte Le Corbusier qui décide, dans les années 50, de séjourner au bord de la Méditerranée, à Roquebrune-Cap Martin, après avoir été accueilli chaleureusement par une famille italienne dont le père, Robert Rebutato, très bon cuisinier, sert quotidiennement à manger à l’architecte et à son épouse dans une cabane plus que modeste. C’est avec Robertino, le jeune garçon de Robert, que se noue une relation de filiation et d’éducation, puisque Le Corbusier l’initie au dessin et à l’architecture, lui apprenant à observer le monde. Du gamin mal dégrossi mais au cœur d’or, au maestro en architecture qui multiplie les complexes d’habitation citadines à la rationalité parfaite, se tisse une filiation intense nourrie d’apprentissage, de morale et d’exigence.
Robertino réussira à 25 ans à intégrer un important cabinet d’architecte et poursuivra, grâce à son travail et à son sens des affaires, une très belle carrière. La pièce explore la magie de cette rencontre sous forme d’étapes d’un voyage, à partir d’une main tendue : celle d’un homme célèbre qui ouvre le monde à un gamin destiné au départ à être plombier. Dans une scénographie géométrique et subtile signée Lucas Jimenez, des panneaux métalliques en forme de voiles de bateau qui se colorent au fil des évocations. Oscar Clark campe l’intrépide héros dont la vie va basculer, et dont le double, Magali Paliès, semble le rattacher sans cesse au réel. Jean-Luc Paliès est un Le Corbusier plus que vraisemblable, costume sombre et lunettes rondes en écaille noire, qui semble jauger la ligne d’horizon de la mer comme celle de son destin. Claudine Fievet incarne son épouse dans de superbes costumes et lumières. Une vraie réussite.
Du 3 au 21 juillet à 13h30.
Hélène Kuttner
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