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« Fêlures », le beau silence masculin de D’ de Kabal

Hélène Kuttner 27 mars 2019
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©Simon Gosselin

Dans un spectacle poétique, entre slam et récit, scansions et musique planante, analyses sociologiques et solos de danse, D’ de Kabal, entouré de trois compagnons artistes, nous offre un très personnel moment de théâtre où il dépouille, comme la peau d’une orange, l’écorce résistante de la masculinité. Comment conduire les hommes à faire la paix avec leur sexe ? Tel est le questionnement qui guide ce spectacle unique, qui fait du bien.

Un artiste hors normes

©Simon Gosselin

D’ de Kabal est un artiste singulier. Rappeur à ses débuts avec le groupe Kabal, il découvre ensuite le slam et crée depuis 2005 avec sa compagnie R.I.P.O.S.T.E. implantée à Bobigny des spectacles qui mêlent le rap, le théâtre, la poésie et la recherche sur des thèmes qui lui tiennent à coeur. Après un premier opus « L’Homme-Femme/Les mécanismes invisibles » où il interrogeait déjà les codes du masculin, il lance en 2016 des ateliers réservés aux hommes et qui leur permet de livrer une parole intime, jamais révélée, sur ce sujet. Comment se défaire des injonctions d’une société millénaire et machiste qui forcent les hommes à être « un homme véritable », Tarzan ou Rambo, un « mâle dominant » régnant sur des femmes consentantes ? Comment échapper aux stéréotypes qui construisent les petits garçons grandissant à l’ombre d’une virilité obligatoire et parfois oppressante ?

Casser les codes de la domination

©Simon Gosselin

Sur un plateau découpé en deux parties, fond sombre éclairé d’une chaude lumière ocre, un couple, Astrid Cathala (comédienne et chanteuse) et Franco Mannara (musicien) ensemble depuis des années, poursuivent les codes répétitifs d’une gestuelle quotidienne, dans le silence le plus total. Tout juste déploient-ils les bras pour faire des gestes, les jambes pour se mouvoir, s’habiller ou brancher un ordinateur. La répétition semble anesthésiante, puis lorsque la parole soudain jaillit, les malentendus fusent dans la mesure ou chacun attend de l’autre ce qu’il a déjà prévu, construit. La femme doit être heureuse, le mari rester en quête de plaisir. De l’autre coté du plateau, sur un triangle bleu, D’ de Kabal apparaît derrière un grand écran transparent où apparaissent des icônes, des textes qui disent sa révolte, ses colères contre les diktats virils.

Danseur androgyne

©Simon Gosselin

Dans la seconde partie, Didier Firmin, danseur à l’allure androgyne dans sa longue tunique ( très beaux costumes de Sonia De Sousa) et son corps souple surgit comme un double, sans genre défini, simplement pour exprimer, par une chorégraphie très simple et belle, le vagabondage erratique du désir. Et c’est ce qui est très émouvant, très particulier dans ce spectacle. Hormis le long récit de l’auteur clameur qui évoque sa propre révolte contre la condition masculine, avec sa part d’autobiographie, d’auto-dérision  mais aussi de révélations acquises durant des heures d’ateliers de paroles, souvent en banlieue parisienne, le spectacle prend des formes très différentes, confessions, expériences, actualités -le viol, le harcèlement- en slam, chanson ou danse. Celle de Didier Firmin apparaît en douceur, comme une caresse, qui vient en contrepoint des mots, du texte très juste, très profond, souvent lyrique, de D’ de Kabal. Et on sort de là heureux, doucement secoué, dans un profond respect et une admiration envers ce geste artistique osé et combien nécessaire.

Hélène Kuttner

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