Face au Paradis – Théâtre Marigny
Deux hommes que tout sépare, qui ne se seraient jamais adressé la parole dans la vraie vie, se retrouvent dans une situation de huis clos qui les forcent à échanger ; et à se rendre compte qu’ils ne sont pas si différents que ça. Si Max (Eric Cantona) est comptable et Lubin (Lorànt Deutsch) pompiste, leurs aspirations, leurs rêves se rejoignent une fois disparues les dissemblances. Le fait que les deux hommes ne puissent se voir durant cet échange forcé se veut une tentative d’originalité, même si dramatiquement cela apporte peu à l’intrigue.
Théâtralement, cependant, l’intrigue a son importance. Car si Cantona et Deutsch jouent tous deux dans cette pièce, ils ne la jouent pas ensemble : à aucun moment ils n’interagissent de manière physique. Tout est dans les mots qu’ils se lancent l’un à l’autre de part et d’autre de la paroi. Et cela donne lieu à une situation dramaturgique très intéressante : chaque acteur peut développer son jeu de son côté sans être influencé par le jeu de l’autre – tout en ne pouvant pas ne pas le prendre en compte. Physiquement, ils sont chacun dans leur rôle sans que la présence de l’un influe sur celle de l’autre. Mais oralement, leurs jeux respectifs dépendent l’un de l’autre, parce qu’ils ne sont que deux sur scène, et qu’à aucun moment l’attention du spectateur ne les abandonne.
La mise en scène et le décor y sont pour beaucoup dans cette situation théâtrale : c’est comme s’il existait deux espaces scéniques séparés par la paroi de béton, qui signifie aussi bien le mur entre les mondes des deux hommes que la menace constante. Toujours chancelante, cette paroi risque de s’effondrer d’un côté ou de l’autre de la scène à tout moment. A cela s’ajoute les néons qui grésillent, les pierres qui tombent du plafond dès que l’un des protagonistes remue un peu trop brusquement et la poussière qui enveloppe constamment le plateau ; ce décor apocalyptique donne ainsi au dialogue à l’aveugle des deux personnages une coloration à la limite du surnaturel.
En contrepoint à cette ambiance un peu fantastique, les dialogues sont profondément ancrés dans le quotidien, dans le réel de la routine. Chacun son travail, chacun son poste. Des anecdotes de boulot, des contes de la vie de tous les jours qui font sourire et même rire. Ces intervalles comiques permettent au spectateur de souffler alors que l’intensité dramatique de la pièce va grandissant. Le dosage entre tragique et comédie est savamment réalisé, ce qui sauve justement la pièce de la banalité.
Les performances d’acteur de Cantona et de Deutsch sont également un facteur clef de cette production. Malgré le handicap physique de son personnage, malgré son impuissance face au désastre, Cantona parvient à dégager une force tranquille mêlée de résignation, qui contraste avec l’agitation puérile du jeune garçon interprété par Lorànt Deutsch.
Cette opposition manichéenne entre la sagesse de l’homme mûr et l’excitation un peu naïve du jeune chien fou ne présente rien de nouveau : c’est l’interprétation des deux hommes qui sort le texte des poncifs et lui donne chair. Ne serait-ce que par leur jeu de scène : Cantona bouge très peu, allongé sur les décombres, ombre noire couchée sur scène comme si tout était déjà arrivé, qu’il ne restait qu’à attendre que tout s’achève enfin. De l’autre côté du mur, Deutsch bouge dans tous les sens, escalade les gravats, s’assoie dans un chariot de supermarché abandonné, se relève, se hausse sur la pointe des pieds pour tenter d’apercevoir son compagnon d’infortune… incarnation de la jeunesse qui refuse que tout soit joué.
Même si elle ne joue pas la carte de l’originalité dramatique, Face au Paradis est une pièce à voir pour plusieurs raisons : son décor de fin du monde inventif et travaillé, et le jeu des comédiens, qui se mettent en danger en acceptant de jouer ensemble en jouant séparément. C’est le résultat d’une belle complicité, et chaque soir, le spectateur revit la mise en place de cette amitié entre deux hommes pris au piège.
Audrey Chaix
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Face au Paradis
De Nathalie Saugeon
Mise en scène de Rachida Brakni
Assistante mise en scène : Annette Barthélémy
Avec Eric Cantona et Loránt Deutsch
Décor : Jean-Marc Stehlé // Costumes : Arielle Chanty-Stevenet
Lumières : Katell Djian // Musiques : Sylvain Jacques
Du 26 janvier au 8 mai 2010
Du mardi au samedi à 21h – matinée samedi à 17h
Prix des places : 45€, 35€ et 25€
Théâtre Marigny – salle Popesco
Carré Marigny, Paris 8e
M° Champs-Elysées Clémenceau ou Franklin Roosevelt
[Visuel : © Pascal Victor]
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