Exubérance marine, tranquillité terrestre avec Sankai Juku
Meguri De Sankai Juku Chorégraphie et mise en scène d’Ushio Amagatsu Avec Ushio Amagatsu, Musiques Du 23 juin au 2 juillet Tarifs 18€-30€ Réservation en ligne Durée : 1h20 Théâtre de la Ville |
Au Théâtre de la Ville, la plus célèbre des troupes japonaises présente « Meguri », sa dernière création. Avec des « Voix du lointain », quelques « Métamorphoses au fond des mers » et même des « Forêts de fossiles », pour citer certains des sept tableaux. Comme à leur habitude, Sankai Juku proposent un véritable voyage. Sankai Juku, maison fondée en 1975, offre les spectacles de butô les plus monumentaux de la planète. Son fondateur, Ushio Amagatsu, est l’expert ès-esthétisation incontesté de cette obédience, et peut-être même de la danse en tant que telle. Une fois de plus, il transforme le plateau du Théâtre de la Ville en une sorte d’espace sacré, et les « ah que c’est beau! » ne cessent de fuser après le spectacle. « Meguri » se déploie à travers sept tableaux, tous habités de corps poudrés, tous masculins mais plutôt asexués, voire végétaux. Cette pièce créée en 2015 fête les quarante ans de la compagnie et procède comme toutes les créations de Sankai Juku depuis le mythique « Graine de cumquat »qui date de1978. Ce n’était pas le premier spectacle d’Amagatsu, mais celui qui donna à sa compagnie accès aux plus grands théâtres. Et Sankai Juku passa de la subversion à la spiritualité, des performances pour public averti aux grands spectacles pour grand public. [embedyt] https://www.youtube.com/watch?v=B6z3Qxi8p5o[/embedyt] Amagatsu règne en maître Il est toujours question, chez Sankai Juku, des liens de l’homme avec la nature et le cosmos, de naissance et de disparition, du cycle de la vie, de terreur et de beauté, d’éternité et de transcendance. Et ça commence toujours par un époustouflant solo d’Amagatsu en personne. Dans « Meguri » il se montre particulièrement inspiré, trouve une manière d’habiter à la fois l’espace et son corps qui le transfigure profondément. Et pourtant, de dos autant que de face, émane de lui une simplicité qui le rapproche de nous, comme jamais avant. De quoi parle « Meguri »? « Exubérance marine, tranquillité terrestre », dit le sous-titre. Impossible de ne pas songer au tremblement de terre et au tsunami de 2011. Mais Amagatsu transpose toujours les événements liés à la mort vers un rappel de la condition, non humaine mais de toute vie sur la terre. Ici, l’imposant mur de fond « s’inspire des fossiles des crinoïdes, animaux aquatiques en forme de plantes, apparus dès l’époque du paléozoïque », selon le maître. Un temple de crinoïdes La mer, comme la montagne, renvoient à des espaces-temps qui dépassent notre entendement. Par ailleurs, Sankai Juku signifie « L’Atelier de la mer et de la montagne ». Dans « Meguri », le rectangle central et le mur du temple sous-marin (tendance Assyrien) sont d’abord plongés dans une lumière bleutée. Au centre, un îlot de sable et des crinoïdes vivants, faits de jambes et de bras humains. Une balance géante descend des cintres, telle une autocitation introduite pour nous rappeler « Umusuna », la pièce précédente. Peut-on encore recommander d’aller voir un spectacle de Sankai Juku? Oui, surtout à ceux qui n’ont jamais vu le travail d’Amagatsu. Car, comme expliqué plus haut, ce n’est pas lui qui va bouleverser ses propres codes. Pour quelle raison, par ailleurs? Le produit est de qualité « premium » ce qui implique une quasi-interdiction de transformation. Sankai Juku, produit « premium » Les créations se suivent et se ressemblent, et ne gagnent plus en force. Sauf dans les solos d’Amagatsu (il y en a deux dans chaque pièce). A eux tous seuls, ils valent toutes les peines. Et comme les pièces précédentes, « Meguri » inclut quelques autres tableaux divins (même si c’est Amagatsu qui prend le rôle du pouvoir supérieur). Amagatsu dispose d’une garde rapprochée, d’un cercle de butokas étoiles qui savent ici capter la rotation de la terre et les lux éternels des océans. Et après, il salue avec la grâce d’une ballerine. Chaque fois, chez Sankai Juku, les saluts sont le huitième tableau du spectacle. C’est le moment où on comprend, même si on découvre l’univers de la compagnie, qu’il se joue ici quelque chose qui dépasse le spectacle. Un rituel, des retrouvailles longuement attendues. Seule Pina Bausch avait ce rapport-là avec le public parisien. Il faut avoir vu Sankai Juku. Au moins une fois. Thomas Hahn [Photos : © Sankai Juku] |
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