Existence – Studio de la Comédie Française
X, prénom du jeune qui entre dans l’appartement par effraction, prend vie dans la tête du public uniquement à travers les sons et les bruits, de même que Tom, l’homme qui se trouve dans son appartement et qui est baillonné puis frappé. Quasiment rien de ce qui se passe sur le plateau ne sera montré clairement avant un long moment.
La tension démarre donc avec brutalité. Une angoisse pesante commence pour le public, angoisse teintée parfois de colère, car il ne voit pas les comédiens sur scène, il entend, il devine les silhouettes, il suppose que l’un agresse l’autre mais il est soumis à une privation. Privation du spectacle de cette agression, privation du voyeurisme. Le seul rayon de lumière auquel on a droit provient d’un réverbère qui passe par la fenêtre de l’appartement. De ce principe d’éclairage minimal surgit un renforcement de l’attention ; l’oreille étant sollicitée plus que jamais, la langue se déroule sous la lumière crue d’une écoute exacerbée. Plus le temps passe, plus le spectateur oppressé se sent lui-même quelque peu violenté et malmené quant à sa position habituelle. Le spectacle a bel et bien lieu et le spectateur en est averti sans qu’il puisse néanmoins se définir totalement en tant que tel selon les codes habituels.
La suggestion scénique rejoint ainsi intensément le caractère elliptique du texte ; cette traversée sombre imprime en lettres lumineuses sur la conscience du spectateur le propos fondamental qui est de se positionner et de se déterminer en toute situation, la condition de l’être humain ne pouvant échapper au paradoxe et à la permanente nécessité de choisir ses actes.
Une densité dérangeante
Ce que l’on appelle dans le jargon convenu « rebondissement » se produit dans les dernières minutes de la pièce, tandis que la lumière est enfin lâchée sur le plateau. Pour les réfractaires à l’option du dispositif, cette action dans la pénombre aura presque été une épreuve. Pour d’autres, d’emblée un effort dont on sent qu’il sera hautement justifié, aura été fourni avec le sentiment immédiat d’être convoqué dans l’essentiel. Quoiqu’il en soit, il faut ne pas se cabrer face aux choix scéniques dérangeants, il faut vaincre l’atmosphère sombre pour voir jaillir le point d’appui de la situation. La raideur, l’agacement ou le mécontentement font partie de l’espace construit par le metteur en scène qui sait, en grand architecte, où il mène le public. Alors, toute la force d’Edward Bond est révélée et toute la volonté de Christian Benedetti de révéler à chacun son point central, son pivot déterminant, est également révélée.
Ce duo entre Edward Bond et Christian Benedetti aboutit une nouvelle fois à une forme théâtrale sans concessions, qui oblige simultanément l’être humain et le théâtre à se définir et s’assumer dans leur choix. En près de vingt ans, le metteur en scène a monté plusieurs pièces de l’auteur anglais né en 1934, dont la langue et les propos l’ont à juste titre imposé comme un dramaturge majeur joué dans le monde entier. Chaque rencontre entre eux deux est un choc, un moment où le spectateur se rencontre lui-même en tant que sujet décisionnaire face à la scène théâtrale et face au monde. Dans Existence, les deux comédiens, majestueux par leur tension et leur concentration à la lisière de l’insoutenable, se hissent avec une impressionnante maîtrise, l’un dans la nervosité l’autre dans le silence, sur la crête de ce spectacle incandescent.
Isabelle Bournat
Existence
D’Edward Bond
Mise en scène et scénographie de Christian Benedetti
Avec Benjamin Jungers et Gilles David
Jusqu’au 28 avril 2013
Du mercredi au dimanche à 18h30 ou 20h30
Relâche les 30 et 31 mars
Tarifs : de 8 à 18 euros
Réservations par tél. 01.44.58.98.58
Durée : 1h
Studio-Théâtre
Carrousel du Louvre
99, rue de Rivoli
75001 Paris
M° Palais-Royal
[Crédits photographiques : © Cosimo Mirco Magliocca]
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