Entretien avec Dorian Lechaux, de la compagnie Puéril Péril
Dorian et Ronan c’est un duo étonnant, qui aime le risque et n’a pas froid aux yeux. En 2015, avec leur amie Manue ils créent Puéril Péril, leur compagnie de cirque capable de porter tous leurs projets fous. Rejoints désormais par Rachel, Manon et Mathis, Puéril Péril est engagée, amusante et poétique, mais aussi déroutante, intrépide et impétueuse.
Rencontre avec Dorian Lechaux, un des fondateur de la compagnie, qui nous raconte sa folle aventure d’artiste.
Ton parcours circassien est bien acrobatique, peux-tu nous raconter ?
J’ai découvert le cirque contemporain assez tard, vers mes 18 ans, à la base je voulais faire du théâtre. Pendant mon lycée, le cirque Galapiat est venu faire sa première de Risque Zéro dans mon village et c’est là que j’ai réalisé que le cirque contemporain réunissait finalement beaucoup de choses que j’aimais : la prouesse physique, la mise en scène et enfin le théâtre. Galapiat organisait le festival “Tant qu’il y aura des mouettes”, qui accueillait de très grosses compagnies de cirque contemporains , c’est là que je me suis rendu compte que les possibilités étaient infinies.
Dans le supérieur j’ai essayé pleins de trucs : BTS informatique-gestion, fac de théâtre, STAPS … Mais rien ne marchait. C’est en STAPS, où je m’étais inscrit pour la gymnastique, que je me suis vraiment rendu compte que je voulais faire du cirque. Du coup je me suis décidé à préparer les concours d’école de cirque et je me suis préparé pendant 1 an. J’ai pris des cours de cirque amateur, en faisant de l’acrobatie et un peu de porté avec le cirque Big Bang Circus à Rennes. C’est pendant les sélections à l’école de cirque de Lyon que j’ai rencontré Ronan. J’ai réussi les concours je suis donc entré en tant qu’acrobate solo. J’aimais beaucoup le main à main, les portées acrobatiques, mais j’avais pas du tout le profil type, ni de voltigeur, ni de porteur et surtout je n’avais aucune base ! Mais avec Ronan on s’est quand même lancé, et on a suivi les cours de portés en découverte..
C’est la deuxième année de prépa où on s’est dit qu’on allait devenir un duo. L’idée c’était de bosser tous les deux à fond et de tenter les écoles ensemble. Comme il était super bon en monocycle, on a eu l’idée de faire des portés sur monocycle. On partait de zéro, voir encore plus car le concept même n’existait pas. Donc ça a été une énorme galère, mais finalement c’est le chemin qui forge un duo.
Puis l’école de cirque de Montréal est venu faire les sélections à Paris et comme on avait encore jamais fait de sélections à deux, on s’est dit que c’était l’occasion de voir ce que ça donnait, on l’a tenté, sans aucun objectif de réussite. Puis un mois plus tard on a appris qu’on était sélectionné. Big aventure, nous n’étions jamais parti aussi longtemps de France, mais c’était mortel, une vraie expérience humaine. Je m’étais fait une image du cirque montréalais qui correspondait pas trop au cirque que je voulais faire. Finalement c’était pas tellement éloigné de mes prévisions mais par contre on m’a jamais forcé à le faire. On est arrivé avec notre projet à nous, on y croyait tellement qu’on s’est jamais fait embêter pour faire un cirque à la canadienne. On est rentré dans un cirque qu’on ne connaissait pas, différent, et qui nous a ouvert les bras. Et on est toujours un peu dedans indirectement !
Comment est née Puéril Péril ?
Au Canada, faire de la création est très difficile, en tout cas tu ne peux pas commencer par ça. Donc nous on voulait vraiment retourner en France pour pouvoir en faire. Alors pour le dossier on a repris contact avec Manue, ma meilleure amie d’enfance qui elle était partie avec Galapiat en tant qu’administratrice. On l’a contacté, et tous les trois avec Ronan, on s’est motivé à créer notre propre compagnie en France. Puéril Péril est née alors qu’on était encore à Montréal !
A la fin de l’école, on a aussi été démarché par de grosses compagnies canadiennes. On a beaucoup hésité à rester au Canada puis on a été approché par Lapsus qui est une compagnie française portée par nos deux anciens profs de portés de Lyon, Gwen et Vincent. Ils nous ont dit qu’ils voulaient faire une nouvelle création et qu’ils pensaient à nous pour les rejoindre. C’était top parce qu’on s’assurait l’intermittence avec la création de ce nouveau spectacle et puis de notre côté on pouvait s’occuper de notre compagnie. On a donc fait la création de ce nouveau spectacle “Boutelis”, avec Lapsus, en étant membres actifs dans la compagnie. En plus de ça on a aussi fait le Festival de cirque de demain avec notre numéro de finissants de Montréal (très adapté, parce qu’on a jamais su faire court). C’était une énorme expérience parce que déjà le festival était un peu une référence dans le monde du cirque. Par contre professionnellement ça nous a servi quasiment à rien parce qu’on était un peu des ovnis, bien loin du style du festival. On avait un style brut, qui tombe, qui chute, pas un cirque clean comme on peut voir au cirque de demain. Mais ça s’est très bien passé, parce qu’on a toujours aimé multiplier les rendez-vous où on nous attend pas. Notre numéro a fait beaucoup parler et finalement on a eu le prix du jury. Puis juste pour l’expérience humaine là-bas, c’était incroyable !
En sortie d’école on est rentré dans un petit projet, dont avait eu l’idée James Tanabe, maintenant directeur de l’école de cirque de Montréal. Il avait été élève et voulait créer un projet où il investissait dans des jeunes qui sortent d’école, pour faire un spectacle d’été. Il nous a donc financé pour faire tourner un petit spectacle estival. En plus de Ronan et moi, il y avait Rachel qu’on a rencontré à Montréal. Elle était roue Cyriste solo, et avec elle on a fait un peu de banquine* dans un groupe qu’on avait monté. Rachel n’avait jamais voltigé donc elle partait d’encore plus loin mais on s’est acharné et on a créé un spectacle qui s’appelait “La Belle et ses bichons”. Il est passé à Aurillac, la Chaux-de-Fonds, Thonon-les-Bains … C’est une petite tournée mais elle est importante parce que c’était notre premier contact en France avec la compagnie. Rachel est rentrée au Canada et à la suite on a créé “Bankal”, un petit spectacle qui avait pour objectif d’être pour tous et qui pourrait être joué partout. C’était clairement pour la gloire, pour être connu et aimé de tous. On a utilisé tout ce qu’on avait travaillé pendant nos cinq annéess d’études de cirque, du coup on l’a créé en une semaine ! On a fait les premières au Théâtre du Vellein et ça a vite marché. C’était vraiment super.
*pratique qui consiste pour des porteurs au sol à recevoir et à projeter en l’air un voltigeur
“L’Autre” est programmé au Festival des 7 collines cette année, à Saint-Etienne. Tu peux nous parler un peu plus de cette création ?
Pendant la deuxième année de la compagnie, on a été retenu pour un projet avec la DRAC et trois pôles cirque en Ardèche dans lequel ces structures aidaient financièrement pour créer un spectacle de rue ET de salle. On leur a proposé quelque chose d’un peu différent : faire tourner “Bankal” en rue, et créer “l’Autre” pour qu’il tourne en salle. C’est la première fois que je me suis mis à table et que j’ai commencé à écrire. D’habitude l’écriture se passe pendant la création. Je me suis inspiré de notre numéro de finissants “Parasite”, un duo monocycle étrange, inspiré de « Le Bruit de glaçons » de Bertrand Blier. Au fur et à mesure de l’écriture il y a eu la volonté d’avoir un plus haut niveau de cirque, plus impressionnant. Alors on a recontacté Rachel pour faire de la banquine et elle a accepté. Pour cette création il y avait aussi mon cousin, Mathis Der Maler musicien live et Manue qui a toujours été très proche de la création. Elle m’a beaucoup servi de regard extérieur parce qu’on vient un peu du même univers cinématographique, un univers dont je m’inspire beaucoup. Il y avait aussi Colin Rey, metteur en scène de théâtre qu’on a engagé pour faire de la direction d’acteurs. Dans le cirque il est très souvent dit “ils jouent bien pour des artistes de cirque”, ou “Le cirque était bien mais le jeu n’était pas très bon”. Moi il était hors de question qu’on me dise ça. Et comme le spectacle était déjà écrit ça nous a permis de prendre beaucoup de temps sur le jeu, la justesse et les dialogues.
La dernière création de Puéril Péril “Mississipi”, est sortie en plein crise sanitaire. Tu arrives à la reprogrammer ?
Cette dernière création, sortie en 2020 et jouée uniquement par Rachel et Mathis. On l’a écrit ensemble mais c’est la première fois que je n’ai été que metteur en scène. C’est un spectacle danse-roue Cyr donc on pourrait facilement dire que c’est un spectacle plus poétique, où l’histoire est beaucoup moins présente. Ce sont plutôt des ressentis et des émotions. Il a eu beaucoup de mal à sortir parce qu’il est sorti l’année du Covid et il a toujours du mal à émerger parce que c’est une galère au niveau des calendriers pour tous les spectacles sortis à ce moment-là. Du coup, on a décidé de faire une forme plateau partagé, notre cross-over de compagnie. C’est donc “Bankal” et “Mississipi” qui s’enchainent pendant 1h30. On a appelé ça “Missikal”.
Tu as des objectifs, des projets particuliers pour la compagnie ?
Tous les six on a toujours eu des grands projets, notre objectif était de gouverner le monde. C’est ce qu’on dit souvent dans les réunions avec les subventionneurs ! On fait des petites choses et on aime ça, mais on a aussi envie des faire des trucs gigantesques. Aller partout, jouer partout et pour tous. On pourrait se contenter de rester où on en est, dans ce qu’on maitrise parce qu’on en vit très bien, mais on veut voir plus loin. En ce moment on a un projet pour aller jouer Missikal aux Etats-Unis. C’est le genre de projet qui nous dépasse, on se sent toujours comme des gamins dans ce monde-là et pourtant on a toujours envie de pousser des montagnes.
On aimerait aussi renouer des liens avec Montréal parce qu’on a toujours eu envie de jouer nos spectacles à Montréal. Un de nos gros objectifs c’est d’y envoyer un de nos spectacles, comme “l’Autre” par exemple, parce que c’est vraiment un spectacle dans lequel on défend notre cirque. Un cirque dur, violent, qui fait parler, réfléchir. On l’a joué à Avignon cet été, et tous les soirs on avait des gens qui venaient nous parler. Ils avaient besoin de comprendre, de savoir ce qui était défendu, ils avaient pleins de questions. Alors ça ne plaît pas à tout le monde, il y’en a que ça perturbe trop, pour qui c’était beaucoup trop violent, mais c’est quand même très intéressant. C’est ce style de cirque qu’on défend et qui viendra de plus en plus dans nos prochaines créations. On a toujours eu l’objectif de faire un spectacle divertissant, même s’il fait toujours réfléchir. Pour moi c’est un des gros défaut du cirque français. Certains considèrent que leurs idées se suffisent au public. Mais nous on travaille POUR un public, il ne faut pas l’oublier (tout en gardant en tête qu’il faut faire changer les choses je suis tout à fait d’accord) mais il faut que les deux soient conciliables. C’est comme les films de super-héros. Maintenant il commence à y avoir des réflexions beaucoup plus profondes mais par contre l’action doit rester impressionnante. Il y a toujours besoin de sensationnel parce que ça nous fait aussi du bien.
Quels sujets veux-tu aborder aujourd’hui ?
En ce moment il y a pas mal de sujets que j’ai envie d’aborder comme la place de la femme, ou la violence dans le monde. Mais j’ai pas non plus envie d’en faire un drama, et c’est très dur parce que le drama ça marche. C’est pour ça qu’en ce moment je suis super content de voir des séries ou des podcasts dont en ressort du bonheur malgré des sujets très durs. Et moi c’est ça que je veux faire. Je veux faire aimer des sujets difficiles, je veux que les gens ressortent heureux d’avoir vu des choses horribles. C’est important qu’on arrête de déprimer sur les choses dures si on veut que ça change. Il y a déjà beaucoup de gens qui le font très bien, c’est très dur et je suis pas sûr d’y arriver, mais je me lance le défi !
Retrouvez la compagnie pour “L’Autre”, le 24 novembre 2021 à 20h au Festival des 7 collines à Saint-Etienne (42) et “Bankal”, le 27 et 28 novembre 2021 à Bonlieu (74).
Pour l’agenda complet c’est ici, et pour en savoir plus sur la compagnie, c’est ici.
Propos recueillis par Zoé Kolic
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