« En attendant Godot » : contre toutes les dictatures
En attendant Godot De Samuel Beckett Mise en scène de Jean-Claude Sachot. Assistante, Bérengère de Pommerol Avec Philippe Catoire, Vincent Violette ou Guillaume van’t Hoff, Jean-Jacques Nervest et Dominique Ratonnat Jusqu’au 4 juin 2016 Tarif plein : 20 € Théâtre de l’Essaïon |
Jusqu’au 4 juin 2016
Bientôt 65 ans qu’En attendant Godot questionne notre condition d’êtres humains. Sur la petite scène de l’Essaïon, le metteur en scène Jean-Claude Sachot replace la pièce la plus jouée de Samuel Beckett dans les conditions de sa création, en 1953. Dans cette pièce qui s’apparente autant au théâtre de l‘absurde qu’au théâtre fantastique, les personnages créés par Samuel Beckett n’arrivent jamais à communiquer entre eux. Tout paraît tranquille. Vladimir et Estragon, deux vagabonds, n’en finissent pas d’attendre au bord d’une route un dénommé Godot. La nuit arrive sur la campagne déserte. Puis soudain… ! « Godot ! » Ce nom prononcé à voix haute a donné la fièvre lors de la création de la pièce de l’Irlandais Samuel Beckett le 4 janvier 1953 par Roger Blin. R. Blin jouait lui-même le rôle de Pozzo au Théâtre de Babylone. Il était alors entouré de Pierre Latour, Lucien Raimbourg, Jean Martin et Serge Lecointe. Pierre Louki jouait Lucky… Une bataille d’Hernani beckettiene Imaginez, à l’époque, le scandale qui a accompagné les premières représentations de cette pièce qui fit grand bruit. Le public gesticulait, hurlait. Comme d’habitude les conservateurs montraient leur désapprobation, la moitié de la salle sortait avant la fin de l’acte I et ça se terminait en pugilat. On assistait chaque soir à des batailles rangées entre les défenseurs de la pièce et ses contempteurs. Pour ou contre ? C’était devenu l’enjeu de la sortie théâtrale. On ne s’éloignait pas de la bataille pour le Hernani de Hugo qui fit scandale au Théâtre français en 1830. De pied ferme, on attendra donc Godot au théâtre de l’Essaïon, au moins jusqu’au début juin. Vous serez surpris par la proportion qu’il y a entre le plateau où est représentée cette route de campagne déserte et la salle de l’ Essaïon. Le rapport entre les acteurs et le public est étroit et ajoute une dimension peu habituelle qui sert la dramaturgie : on est dedans, en quelque sorte ! Contre toutes les dictatures Sur cette route a poussé un arbre qui semble être le seul décor de cette pièce en deux actes. A la tombée du jour, Lucky, (en alternance Guillaume Van’t Hoff ou Vincent Violette) s’y vautre littéralement, esclave attaché par force à son tortionnaire beuglard vociférant. Jean-Jacques Nervest, comédien tout en puissance incarne Pozzo. Il en impose par son jeu diabolique qui occupe tout l’espace au-dessus de son esclave soumis que contemplent à moitié affligés les deux protagonistes, Vladimir et Estragon, nos deux vagabonds -les excellents acteurs que sont Philippe Catoire et Dominique Ratonnat !- témoins passifs du cours de l’histoire qui se déroule devant leurs yeux et où se joue la grande scène du dominant et du dominé. Cet épisode important de la pièce permet-il à Samuel Beckett de reformuler la dramatique de B. Brecht, parue en 1948, Maître Puntila et son valet Matti ? C’est pourtant à cette date que le dramaturge irlandais rédige « En attendant Godot » ! Ce qui ressort du texte comme de la mise en scène transcendante de Jean-Claude Sachot, cet ancien du théâtre populaire des Cévennes, est l’actualité du propos. Il s’agirait là d’une dénonciation de la dictature, cette force injuste et violente qui voudrait écraser la pensée, la force de l’esprit… la culture, en fait ! Mais l’herbe repoussera toujours sous les sabots des tyrans. Or, ce que ne dit pas Beckett, incorrigible pessimiste Beckett, c’est que les jours heureux succèdent toujours aux heures les plus sombres. Godot, figure métaphysique ! Enfin, ce qui ressort dans le feu de l’actualité immédiate est que nulle personne ne peut recommander son salut à un dieu quel qu’il soit. Ici, la religion révélée à nos deux vagabonds est représentée par la déification qu’ils font d’un humain, sorte de surhomme nietzschéen, cet improbable Godot, qui devrait les sauver de la misère sociale dans laquelle ils pataugent. Alors, comme on sait que demain, on rase gratis, Godot, car c’est bien lui la figure métaphysique de la pièce, -God, God Ot, ce nouveau dieu attendu, ne viendra finalement que demain ou peut-être après-demain ou ne viendra jamais. Comme dieu lui-même, Godot n’existe que dans le fantasme des hommes. Godot est né de l’espérance qu’ils ont à sortir de leur condition. La raison principale étant qu’à leur disparition tout puisse se passer comme si le démiurge pouvait leur offrir un palace à six étoiles avec vue sur la mer. En attendant Godot, ils espèrent en une vie meilleure et comprennent mal le brouhaha de la guerre et l’assourdissement des dictatures. Patrick DuCome |
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