Emmanuelle Duthu : “Montrer la richesse des enjeux du spectacle vivant”
Dans le cadre d’une semaine thématique intitulée “Comment la culture change le monde”, animée par Samuel Valensi, les étudiants de 5e année de l’ICART ont accueilli plusieurs professionnels engagés dans la transition du secteur culturel. Solweig Barbier et Emmanuelle Duthu, cofondatrices d’Arviva, sont venues présenter les actions menées par leur association.
Pouvez-vous vous présenter et nous expliquer en quoi vos métiers vous ont conduites aujourd’hui à diriger un tel projet ?
C’est la première fois qu’on a une intervention auprès d’étudiants et ça nous semble essentiel dans la manière de faire les choses. On en est absolument ravies ! Nous sommes les cofondatrices de l’association Arviva, pour Arts Vivants, Arts Durables. C’est une association à l’initiative de neuf professionnels du spectacle vivant, et non des professionnels de l’écologie ou des experts. Nous sommes presque uniquement des administrateurs à différents postes dans des compagnies et structures. Cette association, créée en juin dernier, se donne pour mission principale d’interroger les pratiques du spectacle vivant, de les remettre en question et de trouver des alternatives qui soient durables dans la manière de le pratiquer aujourd’hui.
Quel a été le moteur de la création de cette association Arviva et quels sont vos projets ?
Solweig : On s’est rendu compte que le spectacle vivant se sentait exempt de penser à l’écologie et à son impact sur la planète, compensé par tout le bien que la diffusion de l’art permettait. La toute première rencontre des fondateurs d’Arviva s’est déroulée à un salon professionnel de la musique. On était quelques particuliers à avoir commencé à éveiller les consciences et on s’était fait remarquer par l’organisateur du salon qui nous avait finalement un peu mis de côté. Cela a quand même marché, puisqu’au fur et à mesure, on a eu d’autres interventions qui nous ont permis de mener à la création d’un premier groupe de travail.
Emmanuelle : Les clés initiales étaient de comprendre la norme qu’on nous propose pour pouvoir la repenser correctement et définir un plan d’action. Maintenant, on aimerait organiser des formations par des experts. L’idée serait de créer des rencontres nationales annuelles avec un prix pour montrer la richesse des enjeux dans le domaine du spectacle vivant. Nous souhaitons récompenser des projets en fonction de leur créativité, leur sensibilisation à l’environnement, leur caractère innovant, leur viabilité économique et les conditions de mise en œuvre prévues.
Comment êtes-vous passées de ce groupe de professionnels, qui partagent leurs contraintes quotidiennes et astuces, à la mise en place d’une véritable association ?
Emmanuelle : On s’est dit qu’il était temps de se structurer en association et de pérenniser notre action, il nous fallait une existence juridique qui nous permette d’agir au nom d’une structure, c’était une manière de délimiter le champ d’actions.
Solweig : Tout cela s’est forgé concrètement avec de nombreuses réunions pour figurer les choses. C’est un chantier vaste sur lequel on essaye de travailler. Aujourd’hui, nous sommes une centaine d’organisations à nous interroger. On réunit à la base plusieurs petites structures. Elles sont moins structurées en termes de ressources humaines, mais elles se saisissent de ces questions bien avant les grandes boîtes qui ont, elles, du mal à se mettre en marche sur ces enjeux-là.
Quelles sont les actions menées par Arviva et quelles sont les prochaines étapes ?
Solweig : On s’est fixé trois objectifs : se fédérer, alerter et transformer les manières
dont on fait du spectacle vivant. C’est plus pratique d’être associé à une structure
dont l’impact est important pour faire du lobbying et parler aux tutelles publiques.
Emmanuelle : Nous avons pensé à huit thèmes sur lesquels apporter des réponses
qui sont encore en cours d’incrémentation : le transport, l’hébergement, la
restauration, la technique, le bâtiment, les bureaux, le mécénat et la communication.
Les réponses apportées sont accessibles à tous depuis notre site Internet, mais nous
n’avons pas encore tous les moyens techniques pour les optimiser. Notre guide pour
l’action est un outil d’aide et d’accompagnement. Il permet de proposer des petites
solutions qui, même si elles ne donnent pas lieu à la création d’une charte définie,
donnent des idées.
À qui et comment est-ce que vous présentez vos revendications pour que les choses changent ?
Solweig : Nous pensons que les tutelles publiques doivent s’emparer activement du sujet. Il est également important d’agir auprès des financeurs, car ce sont eux qui possèdent les clefs pour impacter la répartition des ressources (augmenter celles allouées). Il y a un véritable besoin de parler aux professionnels du spectacle vivant pour les influencer et les sensibiliser, afin qu’ils adhèrent à la cause.
Rencontrez-vous des limites dans la mise en place de ces actions et dans votre démarche en général ?
Emmanuelle : On a déjà notamment été reçues par le ministère de la Culture et son responsable de la transition écologique, Olivier Lerude, ainsi que la Ville de Paris et la DGCA. Ils sont intéressés mais leur soutien ne semble pas concrétisable dans l’immédiat. D’autres sont plus avancés, comme la Région Ile-de-France, avec des initiatives déjà bien en place comme une cellule de transition écologique de traitement des déchets. Pour la culture, il existe une vraie volonté d’agir, même si les pouvoirs publics n’ont pas encore bien défini comment passer à des actions plus concrètes.
Pensez-vous que la crise sanitaire actuelle pourrait avoir un impact positif sur votre démarche ?
Solweig : Il me semble que la prise de conscience est plus forte. Une prise de recul est en cours. On réalise que cette crise n’est pas uniquement sanitaire, mais également environnementale. Après, le fait que les projets culturels aient du mal à se concrétiser en ce moment complexifie la négociation. On est complètement captif du manque de ressources, du manque d’opportunités. Mais nous sentons que ça commence à bouger et nous sommes convaincus que nous pouvons faire changer les lignes. En tous cas, c’est réjouissant de voir que des étudiants se forment à ces enjeux-là et que vous avez lancé l’initiative Réveil Culture !
Propos recueillis par Maya Borreil, Tristan Connan, Alice Delcoigne, Pétronille Dugast, Charles Gauthey, Lucie Jourdain, Victoria Jung, Sixtine Justeau, Juliette de Maupeou, Camille d’Orglandes, Eliès Passot et Fanny Schupfer.
Rédigés par Maya Borreil, Pétronille Dugast et Lucie Jourdain
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