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Émilie Anna Maillet : “C’est l’interaction avec le public qui est l’essence même du spectacle vivant !”

Élodie Pochat 14 avril 2021
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© Maxime Lethelier

Directrice artistique de la compagnie EX VOTO À LA LUNE, metteur en scène et enseignante au conservatoire de Paris 19 en art dramatique, Émilie Anna Maillet a aussi longtemps été sur les planches comme comédienne, danseuse et chanteuse. Elle nous présente aujourd’hui Toute nue, un spectacle qui croise les textes de Feydeau et Norén, dont elle signe la mise en scène.

Comment êtes-vous entrée dans le monde du spectacle vivant ?

Depuis mes 8 ans, je voulais être metteur en scène ! C’était très clair : j’ai vu un spectacle et je voulais savoir comment cela fonctionnait derrière. J’ai eu une formation en piano, chant et danse pendant 12 ans. J’ai eu mon bac en option théâtre, puis je suis entrée à l’école théâtrale que Pierre Debauche venait d’ouvrir à Paris. Très vite, il m’a embauchée sur un tour de chant. Puis il a créé le Théâtre du Jour à Agen, et nous étions une trentaine à le suivre : jeu, mise en scène, cabaret, serveurs au bar, costumes, décors, régies lumières, bar, affichages, réservations, on faisait tout… Ce fut deux années très intenses mais très exaltantes ! Je suis retournée à Paris, j’avais 21 ans, et je devais tout recommencer. Je suis devenue assistante sur des grosses productions de comédie musicales avec chanteurs, danseurs, circassiens, animaliers, effets pyrotechniques… En 2001, je suis rentrée au CNSAD à l’unité nomade à la mise en scène qui venait d’être créée. En 2005, tout en continuant mes propres créations, j’ai fait un Master 2 mise en scène dramaturgie à Paris X et en 2006, j’ai passé le CA pour enseigner et j’ai enchainé avec un poste au CRR de Versailles, puis au CMA 19 à Paris.

Que cela vous apporte-t-il ?

Je construis une grande part de ma réflexion sur le théâtre aujourd’hui avec mes élèves. Je refais le chemin à l’envers avec eux car je n’ai pas pu prendre le temps d’analyser et de réfléchir aux grandes problématiques théâtrales quand j’avais leur âge. Dans mon enseignement, je suis aujourd’hui beaucoup dans l’accompagnement de leur projet, de leur réflexion. Quand j’ai travaillé avec Krystian Lupa, j’ai vu à quel point l’enseignement le nourrissait dans sa création. En déroulant la pensée et le raisonnement artistique de ses élèves, il entre dans leur univers. C’est cela qui m’intéresse dans l’enseignement.

Comment parvenez-vous à concilier ces deux métiers ?

Cela me demande beaucoup de temps et d’énergie. Heureusement, mon équipe est très efficace et a l’habitude de travailler ensemble ! On devance tous les problèmes en amont. Je commence toujours par travailler avec les acteurs, sans rien, c’est avec eux que tout va se construire. Puis je fais de courtes résidences techniques. Ensuite, tout le monde est autonome lorsque l’on répète. Je sais déjà les outils techniques que je veux utiliser pour faire passer mon message mais ils évoluent tout au long du travail avec les acteurs. Par exemple, pour Kant, c’est au bout de cinq jours de travail avec l’acteur que nous avons écrit tout le spectacle et les effets techniques que nous allions utiliser.

© Maxime Lethelier, Spectacle KANT

Combien de temps mettez-vous à monter un projet en général ?

Cela dépend vraiment du projet mais c’est souvent assez long ! Avant de répéter, il faut trouver les financements et les moyens de diffusion, ce qui peut être très long. J’ai, par exemple, mis trois ans à monter Kant et bien plus pour Toute nue !  Cela fait huit ans que je veux travailler sur le croisement Norén/Feydeau mais au début, personne ne comprenait ! Et cela était d’autant plus difficile que, suite au spectacle Kant, j’avais l’étiquette jeune public.

La réouverture des théâtres étant encore incertaine, comment vivez-vous cette période de crise ?

Cette période demande aux compagnies de travailler 10 fois plus. C’est assez intense. Les théâtres sont dans une situation compliquée. Il y a un embouteillage dans les reports. On a l’impression de travailler pour pas grand-chose. Et il n’y a plus de relation avec le public. Il y a certes des tentatives avec zoom mais l’interaction reste extrêmement faible, or c’est cette interaction qui est l’essence même du spectacle vivant.

Quel est le travail que vous avez effectué à partir du texte de Feydeau/Norén ?

Chaque réplique vient uniquement de ces auteurs, mais quand on fait répéter une phrase, par exemple, les intentions peuvent prendre une autre ampleur, une autre résonance. J’ai aussi restructuré la pièce de Feydeau en faisant entrer dès le début le journaliste alors que dans la pièce originale, il n’arrive qu’à la fin. Il y a vraiment un travail d’écriture de plateau. Pour mon prochain spectacle, # TLONTL, je compte écrire pour la première fois, en totalité. Ça sera vraiment une première, une plongée.

Dans Toute nue, comment comprendre l’attitude de Clarisse ?

Clarisse a pactisé avec son mari, elle travaille pour et avec lui. Lorsqu’il est à deux doigts de devenir ministre, elle se rend compte qu’elle est mise de côté. Plus rien n’existe pour lui que son ambition, ses adversaires, ses pactes. Elle n’a pas de place dans le combat viril de tous ces hommes. Au départ, c’est un accident si elle arrive dévêtue : elle a chaud, elle sort de la douche et elle est chez elle ! Mais elle gène son mari, qui lui joue sa carrière partout, et jusque dans l’espace intime de leur maison. À plusieurs reprises, elle va d’ailleurs s’excuser de le déranger. C’est quand elle comprend qu’elle se fait mépriser qu’elle décide de tout foutre en l’air. Elle n’a pas d’espace intime, et bien soit, elle va donc exposer son intimité ! Et finalement mettre en difficulté de manière volontaire son mari. On pourrait dire qu’en quelque sorte, elle essaye de tuer son mari à un endroit de la représentation sociale. Dans la nudité de clarisse, il n’y a rien de sexuel, c’est juste une femme nue.

Est-ce que Clarisse arrive finalement à s’imposer face à son mari ?

J’ai fait le choix de ne pas résoudre cette relation. Je ne voulais pas donner de Clarisse l’image d’une femme puissante ni d’une femme perdante. Il n’y a pas encore de solution et de réponse. C’est surtout un désastre pour tous les deux. Il n’était pas possible pour moi de donner une réponse positive pour l’un des deux. Tant qu’il n’y aura pas d’égalité, les hommes qui ont un confort certes, se privent également d’une richesse importante et finalement l’injonction qu’ils ont de toujours devoir surpasser leurs confrères masculins leur met beaucoup de pression !

Feydeau aurait donc écrit une pièce féministe ?

De son vivant, Feydeau faisait la fête tous les soirs, dormait le matin et travaillait l’après-midi avec ses amis chez lui, pendant que sa femme s’occupait des enfants. Lui aussi, comme M. Ventroux, est gêné lorsque sa femme retire son corset pour se mettre à l’aise alors qu’elle est chez elle. Finalement, c’est un texte écrit par un homme dans une époque profondément misogyne. Mais malgré lui, il met en jeu des symptômes d’une société et il raconte quelque chose de très féministe. La façon dont il devait le mettre en scène à l’époque était surement misogyne mais aujourd’hui, le sujet l’a dépassé.

Vous avez déjà pu faire vivre votre pièce avant la crise sanitaire actuelle. Pourrait-on espérer voir ou revoir Toute nue quand les théâtres rouvriront ?

Nous sommes encore en train de négocier les reports mais oui, nous espérons pouvoir la rejouer l’année prochaine. Aujourd’hui, la cause féminine n’est pas d’actualité puisque le Covid écrase tout, mais la réalité est qu’il y a beaucoup de désavantages pour les femmes pendant cette crise. Elles paient le prix fort. Quand on sera sorti de cette crise, il va falloir en parler.

Vous pouvez suivre Émilie Anna Maillet et sa compagnie EX VOTO À LA LUNE :

Sur Facebook en cliquant ici et sur Instagram .

Sur le site de la compagnie : Accueil – EX VOTO A LA LUNE


Propos recueillis par Élodie Pochat

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