Electre/Oreste à la Comédie-Française, vengeance grandiose
Ivo van Hove couple deux pièces d’Euripide, traitant le thème de la vengeance selon son art de la mise en scène crue et puissante. Les héros y deviennent nos contemporains et le cycle de la haine un piège éternel de l’humanité.
La montée vers le crime de jeunes princes dont la naissance les promettait au raffinement s’effectue sans relâche sur un rythme de fureur et de transe. Dans un bouillonnement de sang, de cris, de pleurs et de déchirement, la progression de la mécanique de la vengeance y est grandiose, terrifiante. Suliane Brahim et Christophe Montenez dans les rôles titres et les comédiens qui les entourent sont poignants de bout en bout. Le choeur offre des moments à couper le souffle, mené par une envoûtante chorégraphie qui mêle le danger à la fascination. Après Les damnés, le metteur en scène d’Amsterdam retrouve donc brillamment la troupe de la Comédie-Française pour un spectacle qui captive le public et le secoue d’interrogations quant au processus de la violence radicale actuelle.
Electre vit à l’écart de la cité d’Argos, réduite à une existence misérable depuis que sa mère Clytemnestre a tué Agamemnon pour le remplacer par son amant Egysthe. Quand son frère Oreste revient, accompagné de son ami Pylade, le stratagème de la vengeance s’enclenche. Tous deux iront, de folie en folie, jusqu’au paroxisme du matricide. Après quoi s’ouvre, notamment avec la venue de Ménélas, la question du jugement et de la sanction, le metteur en scène laissant planer, par des tableaux superbes et sidérants, une alternative entre fatalisme funeste et choix raisonné du bonheur.
Un sol boueux, une maison tel un simple cube, une passerelle de bois qui conduit au palais et une rangée de percussionnistes occupent le plateau. Les excellents musiciens créent une saisissante atmosphère où le trouble des consciences n’a d’égal que le subjuguant glissement d’une main sur la peau d’une timbale. La tension se dégage en permanence, alliant la force du martèlement au feutrage, le gong sonore à la plainte et le rythme à la subtilité. Tout cela sous-tend et enveloppe l’enjeu scénique d’une épaisseur qui fait frémir.
En resserrant les deux pièces qu’il élague et en ne laissant aucun répit au spectateur, Ivo van Hove rehausse la force textuelle et le nœud du propos. Il tire avec intensité le fil de la haine jusqu’à la radicalisation, il amène à sentir organiquement combien l’exclusion d’une famille ou d’une société peut transformer des êtres blessés en bêtes féroces. L’enchaînement de la cruauté se déroule dans une logique épouvantable, fondée sur une injustice vécue économiquement, affectivement, socialement ou psychologiquement. La réflexion sur la violence et le terrorisme déroule sa trame sous un déluge d’émotions qui traversent magnifiquement la scène. Le choix de la tonalité des couleurs, qui absorbe le spectateur, et l’extraordinaire jeu des comédiens combinent magistralement la précision du verbe et la justesse du raisonnement à une fièvre embrasante.
Emilie Darlier-Bournat
Retransmission du spectacle, en direct dans 200 cinémas depuis la salle Richelieu, le jeudi 23 mai à 20h15.
Réservations sur pathelive.com ou dans les salles de cinéma
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