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Effleurer les subtilités humaines : Agathe Charnet, “Le Dieu des causes perdues”

15 juillet 2024
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“Le Dieu des causes perdues”. Quelle attirance ! On ressent l’amour et l’espoir pour une vie meilleure, la croyance et son absence, la force qui nous guide en manque de vision, les existences à fleur de peau. Le synopsis nous indique une histoire de quête personnelle, une histoire d’amour, et une histoire intime et profondément poignante. Quoi de plus à savoir ?

Agathe Charnet et Ambre Kahan sortent cette pièce en 2023, et en juin 2024, elle tourne à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet. Quoi de plus à savoir sur cette pièce ? J’étais intriguée. J’assiste à la première et je patiente pour écouter ce que les artistes ont à dire dans le cadre d’une discussion informelle avec le public, moi-même m’y plongeant. Agathe, Noémie Rimbert, et M’Hamed Menjra s’installent confortablement sur le plateau. M’Hamed, à sa station musicale devant son ordinateur, sa guitare, et son Oud, Noémie à gauche, et Agathe à sa droite. Agathe commence par faire une introduction.

Agathe Charnet : “C’est une pièce qui a été commandée par Ambre Kahan dans le cadre du festival des jeunes créatrices sur Villefranche-sur-Saône. J’étais confrontée à une forme courte d’un texte dans un temps de création assez court et non-linéaire. Nous avons commencé par organiser une constellation, ce qui est juste une autre manière de faire un brainstorming, ou rapprocher nos idées. On a voulu comprendre ce qui nous concerne, ce qui est important pour nous, et surtout ce qui nous relie. C’est drôle parce que les thèmes qui sont immédiatement sortis étaient des thèmes très personnels, intimes, qui nous touchaient beaucoup, et on s’est toustes rejoint·e·s sur un point, un thème. On a voulu parler de la famille, des relations frères-sœurs, de la violence, et de la spiritualité. On s’est beaucoup intéressé au syncrétisme occidental et capitaliste et de le mettre en lumière tout en se moquant du fait que chacune de ces spiritualités devient, au final, dérobée de son essence principale quand elle est transportée au monde occidental.”

Noémie Rimbert : “Au début, comme précisé, le spectacle tournait beaucoup dans des lieux non-dédiés et profitait d’une écriture dite « sauvage ». On a tourné dans des collèges, des lycées, des écoles, des centres de rééducation, des centres de détention aussi. C’est une version sans lumières, sans artifices. Il y a juste M’Hamed avec son instrument, et moi au micro. La version avec des lumières était un peu comme les feux d’artifice, comme on l’a présenté ce soir, et l’autre qui a été plus sérieuse.”

AC : “Il n’y avait pas d’objectif pédagogique derrière, mais plutôt un questionnement autour de comment on crée des chemins de réparation.”

Question du public : Comment te sens-tu maintenant que tu vois la pièce en entier et comment tu la perçois ?

AC : “C’est super émouvant. J’ai de la chance de répondre à des commandes et c’est toujours un immense espace de joie et de liberté. On s’est rencontré avec Ambre et on a créé la pièce ensemble. C’est beau d’essayer d’imaginer comment on rêve dans une voix, et puis voir les autres possibilités qu’elle peut avoir cette voix. C’est aussi très bien d’être juste autrice. Je suis tranquille.”

Question du public : Et la réception des jeunes au collèges ?

NR : “C’est très différent. Souvent ça dépend s’ils ont été préparés ou pas. Quand on joue pour un public dit captif, c’est quand même toujours plus agréable pour eux et pour nous quand ils ont un peu entendu parlé de ce qu’ils allaient voir. Mais en général, il a y un petit temps de blanc, au début. Personne ne parle. J’ai l’impression que le fait qu’on joue à la première personne et le côté intime de ce récit leur clouent un peu. Après, souvent on a beaucoup de questions sur la fausse couche, et plein de questions sur la relation frère-sœur. C’est plutôt bien reçu, et on a finalement su qu’ils en parlaient après avec leurs professeur. C’est plus facile. En direct, c’est parfois un peu difficile.”

Question du public : Est-ce que c’est des questions qui sont liés un peu à la place de la femme, et c’est quoi être une fille ?

NR : “Plutôt des deux côtés. Ça circule de la même manière sur les questionnements autour de la place des femmes ou des hommes. Le fait qu’ils soient surpris et touchés par ce côté mystique aussi est quelque chose qui est beaucoup interpellé.”

Question du public : Et dans les prisons ?

NR : “C’est très différent. Souvent ça dépend s’ils ont été préparés ou pas. Quand on joue pour un public dit captif, c’est quand même toujours plus agréable pour eux et pour nous quand ils ont un peu entendu parler de ce qu’ils allaient voir. Mais en général, il y a un petit temps de blanc, au début. Personne ne parle. J’ai l’impression que le fait qu’on joue à la première personne et le côté intime de ce récit les clouent un peu. Souvent on a beaucoup de questions sur la fausse couche, et plein de questions sur la relation frère-sœur. C’est plutôt bien reçu, et on a finalement su qu’ils en parlaient après avec leurs professeurs. C’est plus facile. En direct, c’est parfois un peu difficile.”

Question de ma part : On a eu l’impression que la pièce traite de manière un peu drôle et sarcastique le moment où Anna, le personnage principal, fait une retraite et participe à des rituels chamaniques autour de l’Ayahuasca. Le choix de musique, la voix moqueuse du serveur en train de présenter les plats… Pourquoi avoir adopté ce ton ?

AG : “J’ai vécu en Thaïlande auparavant, et à un moment j’étais activement en recherche de spiritualité. Il y a beaucoup de discussions sur le sujet, et les manières dont nous nous posons des questions sont assez intéressantes. Quel syncrétisme fait-on quand on va dans des cultures et on s’approprie les choses ? J’avais envie d’explorer cela dans la pièce. Nous avons beaucoup parlé de synchronicité dans nos échanges. Pendant mon séjour en Asie du Sud-Est, j’ai rencontré beaucoup de gens en quête, prêts à brûler beaucoup de kérosène et à augmenter leur bilan carbone pour chercher. Dans la pièce, nous avons essayé de porter un regard sur nos pratiques spirituelles et le syncrétisme qui en découle. Anna a pu exprimer sa colère à travers ce rituel chamanique, même si la manière dont elle y a été amenée semble stéréotypée. Nous nous sommes aussi demandé ce qu’elle fait de cette colère, et comment la relier à une forme d’apaisement.”

NR : “Il y avait aussi la question des croyances quand on ne se reconnaît dans aucune religion monothéiste. Face à cette absence, où cherche-t-on une forme de vérité, une forme de spiritualité et de sens ?”

AC : “Et surtout quand tout vient en même temps et que la vie part si vite, comment et à quoi s’accroche-t-on, et comment est-ce qu’on surgit ? Anna, le personnage principal, n’a pas bien vécu la fausse couche, mais au bout d’un moment, la parole se libère, et cet espace pour trouver ce qui est demandé a été convoqué. C’est là où il y a l’univers. Nous sommes tous dans notre narration et dans nos idées personnelles tout le temps, et c’est là-dedans que surgissent les choses pour de vrai.”

Question de ma part : On parlait tout à l’heure de cet aspect mystique et spirituel et le choix du oud le transmet parfaitement. Est-ce qu’il a été pensé dans la même logique ou est-ce venu intuitivement ?

M’Hamed Menjra : “Quand j’ai lu le texte, j’ai tout de suite pensé au oud parce que c’est vrai que c’est un instrument de particularité sonore et ironique qui transcrit beaucoup des sentiments mélancoliques. Ensuite, on peut passer à la tristesse, dans l’intensité. Donc, je me suis dit que le oud est très adapté à ce type de moment. Après, il y a la guitare aussi, où je commence à jouer une boucle à la guitare et je joue le oud par-dessus. Il y a aussi le violon à un moment donné. C’est plutôt un orchestre de sons différents.”

À propos de l’autrice

Un temps journaliste de presse écrite après de longues études de sciences politiques, littérature et théâtre, Agathe Charnet co-dirige avec Lillah Vial la Compagnie La Vie Grande basée au Havre depuis 2019. Elle écrit pour le théâtre depuis 2017, avant de mettre en scène son propre texte Ceci est mon corps, créé en février 2022 à la Halle O Grains de Bayeux puis accueilli avec succès en tournée. Ses textes sont accompagnés par le Collectif A Mots Découvert et ont été lauréats de différents festivals. Le 6 juin 2024 paraissent deux nouveaux textes : Nous qui sommes la forêt et Le dieu des causes perdues, mis en scène au Théâtre de l’Athénée par Ambre Kahan.

Interview realisée par Farida Mostafa

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