Edouard Baer au Théâtre Antoine, de gracieuses élucubrations
Edouard Baer tient le rôle d’un comédien qui a quitté précipitamment le théâtre d’à côté où il devait jouer. Il fugue, pousse la première porte venue et se retrouve au Théâtre Antoine. A l’abri et pouvant se laisser aller à ses élucubrations, il s’apaise puis divague joliment sur des textes d’auteurs auxquels il rend un bel hommage en nous faisant partager son goût des mots.
Lorsqu’il arrive sur scène vêtu d’un manteau noir et visiblement désemparé, Edouard Baer distille pendant quelques instants une ambiance de thriller comme si un dangereux ennemi était à ses trousses. Mais en réalité, nul ne le rattrape et son angoisse fondamentalement existentielle correspond à une panique comme chacun peut en connaitre un jour ou l’autre, panique qui consiste juste à vouloir violemment tout plaquer, partir, sortir de sa propre vie et l’oublier. Après la peur, ce personnage en pleine crise de confiance est très bien accueilli par un régisseur, ici interprété par Christophe Meynet qui intervient avec compréhension et doigté, tout en permettant à la situation de se rééquilibrer. Commence un partage littéraire avec le public, tel un vol léger, fluide, drôle parfois, émouvant et passionné, pudique et chaleureux à travers lequel sont posées des questions notamment sur le courage et la lâcheté.
Maints extraits de romans, poèmes et tous genres littéraires se succèdent au fur et à mesure que le personnage s’installe. Edouard Baer les lance avec amour, il s’en délecte lui-même et les offre aux spectateurs avec générosité et jubilation. Casanova, Thomas Bernhard, Romain Gary, Georges Brassens, Bukowski, Boris Vian… La liste est longue de ces grands auteurs qui sont ainsi convoqués pour renouer avec l’espoir et Edouard Baer, qui feint astucieusement l’improvisation, semble être le premier surpris tandis que sa riche mémoire lui redonne des forces. Il entrecoupe ces perles littéraires de sa propre prose ainsi que de musique dont la magnifique Sarabande de Haendel, et des voix très touchantes d’artistes et amis. Son agent resté en rade cherche désespérément à le joindre par téléphone, mais en vain. Edouard Baer est bel et bien parti au gré des mots, et nous avec.
La dernière fois qu’Edouard Baer s’était produit au Théâtre Antoine, c’était pour Un pedigree de Patrick Modiano. Avec ses Élucubrations d’un homme soudain frappé par la grâce, il réunit ses facettes les plus caractéristiques, alliant la mélancolie à la dérision, la fantaisie à l’élégance, le sarcasme au dandysme. Ce panthéon personnel passe par des textes passionnés dans le style de Malraux autant que par des souvenirs d’enfance où réapparaît Guignol, décloisonnant ainsi les genres. Edouard Baer transmet à son public la littérature qu’il aime et dont il prouve qu’elle peut venir en aide comme le ferait un ami. Non seulement il est certain qu’il aime sincèrement tous ceux qu’il cite longuement sur le plateau mais il a cette grâce de savoir les faire aimer, prolongeant même l’envie de les lire ou les relire.
Emilie Darlier-Bournat
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