“Écrire sa vie” : Pauline Bayle célèbre Virginia Woolf au Festival d’Avignon
Au Cloître des Carmes, dans ce magnifique espace qui appelle la spiritualité et l’ouverture aux autres, la metteure en scène Pauline Bayle, actuelle directrice du Théâtre Public de Montreuil et artiste reconnue pour ses captivantes adaptations (L’Illiade, L’Odyssée, Illusions perdues ) convoque la romancière féministe Virginia Woolf pour lui rendre un poétique hommage en compagnie de six interprètes autour d’une table dressée pour la fête. Un spectacle littéraire et raffiné qui souffre cependant d’une cohérence théâtrale trop légère.
« Comment écrire quand le futur n’existe pas ? »
C’est la question que se posait la romancière anglaise avant de se tuer, en 1941. Dans une oeuvre originale et d’une puissante modernité, Virginia Woolf aborde dans ses écrits et son épais journal une série de problématiques qui sont aujourd’hui les nôtres, même si la situation des femmes au début du 20° siècle est drastiquement différente à celle d’aujourd’hui. C’est le roman Les Vagues, publié en 1931, qui constitue le cœur de cette création en s’appuyant sur la succession de monologues interprétés par six personnages, interrompus par une série d’interludes racontés à la troisième personne et qui évoquent des scènes côtières à différents moment de la journée. C’est peu dire que ce roman n’en est pas un au sens propre du terme, tant la narration est morcelée, éclatée entre prose et poésie, selon différents flux de consciences qui représentent d’après Woolf les différents aspects de sa propre personnalité, à la manière d’un « poème-jeu » (play poem) inspiré du roman de James Joyce Le portrait de l’artiste en jeune homme.
Une question de place
Où est ma place ? Qu’est-ce qui constitue ma maison ? Ai-je raison de me marier ? Le bellâtre sûr de lui et perfectionniste, le romancier en quête de succès, l’éternel amoureux, la dominante esthète et narcissique, la craintive qui fuit le monde et la ville et celui, épris de radicalité et qui fuit toute compromission, sont les protagonistes de cette quête existentielle dont Jacob, frère, ami ou amant des personnages, s’abstrait. On l’évoque mais il meurt dans une bataille de conquête de l’Inde par l’Empire britannique. Dans le spectacle, ces personnages sont incarnés par quatre comédiennes et deux comédiens qui adoptent un autre prénom, puis vont en changer après l’apocalypse émotionnelle créée par la mort de l’absent. Cette bande d’amis pour la vie, âgés de 20 à 40 ans, accueille les spectateurs de manière très conviviale, dans un espace bi-frontal, nous offrant à boire avant de dresser une table d’apparat dans des lumières festives. Les robes sont fluides et soyeuses, laissant deviner les corps souples des femmes qui dansent et se mettent à chanter, les garçons, plus discrets, se mêlent à la fête. Les échanges se font avec une tendre et directe complicité, et l’univers de Virginia Woolf se mélange au nôtre de manière joyeuse.
Un radeau à la dérive
C’est cependant l’image du radeau, détruit après la tempête, qui serait la plus pertinente tant la vie de chacun, ses angoisses, ses peurs, sa volonté d’être aimé, protégé, reconnu, semble précaire. « Les plus belles histoires finissent par un naufrage » écrit Woolf qui ne survivra pas à sa profonde dépression. Et dans ce spectacle, la table centrale constitue le pivot autour duquel gravitent les existences. Qu’il est difficile, quand on a 20 ans, d’être soi-même. Est-ce plus facile à 40 ans ? Toutes ces questions, qui sont aussi les nôtres, sont pourtant trop peu saillantes dans cette création dont le fil reste trop décousu, trop impressionniste. Ces monologues intérieurs, dont les mots écrits avec une précieuse liberté sont les géniaux médiums, manquent ici d’intensité dramatique. La noyade n’est pas très loin, peut-être faudrait-il la ressentir davantage. Dans tous les cas, voilà un spectacle qui donne furieusement envie de se replonger dans l’œuvre puissante de Virginia Woolf.
Hélène Kuttner
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