Du temps qu’il fait au temps qui passe – Compagnie Flamboyante et Irréaliste
Il s’agit d’un triptyque dont la première partie nous conte l’histoire folle d’un pays imaginaire où des « catastriophes naturelles » poursuivent les personnages : il se met à pleuvoir des clous de girofle, une comédienne en costume de météo jette d’énormes confettis sur les personnages et le public. Le peuple, d’étranges bonshommes masqués vêtus de sacs poubelle jaunes et de chapeaux de scotch noir, se trouve bien désemparé face à ces « cataclysmes ambulants ». Il faut donc se rendre auprès d’Homère, le « maire de la cité », une espèce de sorcière avec un nez crochu d’environ quarante centimètres de long pour lui demander de l’aide. Homère suggère la fuite et tous fuient ; mais « les catastriophes continuent de les suivre. »
Il est temps de destituer Homère, le traitre qui n’a pas trouvé de solution et de trouver un nouveau chef. C’est alors que le plus fou des personnages se met à haranguer le public d’invoquer avec lui Hypérion, le « dominatuteur de l’univers et du temps qui l’habite, le grand dieu que les prophéties annoncent. »
Le public enthousiaste rentre dans le jeu et toute la salle et la scène se mettent à clamer une prière invocatrice à Hypérion qui, à la surprise générale, débarque sur scène en surgissant ex-nihilo de la toile de fond du théâtre, l’arrachant au passage et laissant voir le mur du fond de la scène, pour régler tous les problèmes, il apporte la solution la plus simple et évidente pour faire cesser les catastrophes : « il faut faire un procès au Temps qu’il fait ». Le procès fait, le Temps qu’il fait est mis à mort à l’aide d’une prise de catch par un bourreau dont le costume est intégralement fait de papier-bulles et tout semble rentrer dans l’ordre. La pièce finit sur un retour inexpliqué des catastrophes et sur une série de meurtres et de menaces de meurtre visant à les arrêter. Une pièce belle, un geste pur accompagné par un violon plutôt virtuose, et une fuite générale vers la poésie et la folie.
A la fin de cette première partie, Hypérion, un Prologue nous est présenté, un prologue retardataire puisqu’arrivant après la première partie. Une pièce interactive et décalée proposant aux membres du public de monter sur scène pour participer à l’élaboration de la fable suivant un canevas donné au départ, mais seulement aux acteurs, vêtus à la mode antique, cela va de soi.
Enfin, pour clore le spectacle, un bouquet final nous est offert : La Mite de la caverne, rien que le titre est réjouissant de potacherie. Mais la fable est loin de se laisser enfermer dans un humour collégien. Il s’agit avant tout d’une comédie touchante sur le syndrome de Stockholm, racontant la façon dont deux alpinistes enlevés, l’un par une montagne et l’autre par un monstre finissent tous deux par aimer leurs ravisseurs et à en mourir. Deux personnages portant un maquillage inspiré du kabuki, Mousse et Tache, miment l’escaladed’ une montagne particulièrement difficile lors d’un stage pour alpiniste expérimentés, lorsque tout à coup Mousse se rend compte que Tache n’a jamais de sa vie pratiqué l’alpinisme et qu’il est un véritable danger public ; et pour couronner le tout, le moniteur est mort dans un « accident de corde » et la terre se met à trembler grâce à un talentueux musicien jouant en tout et pour tout durant la pièce d’au moins quinze instruments différents, et Mousse se casse la figure : un grand moment de clown !
Alors qu’il est sur le point d’être secouru, Mousse est enlevé par un énorme dinosaure, un ptérodactyle, qui se présente tout d’abord sous la forme d’une petite marionnette colorée. Mais ce ptérodactyle bien éduqué, puisque parlant, va devenir une marionnette de presque trois mètres de haut habitée par trois comédiens, tous trois comme dans une armure, qui va se lancer dans un immense monologue d’une seule phrase, une prouesse d’acteur, dans laquelle il s’efforce de démontrer à l’alpiniste qu’il est un mouton et qu’il doit servir de déjeuner à ses petits ; discours efficace puisque l’alpiniste ne trouve rien de mieux que de répondre « moi mouton ». Alors le dinosaure se lance dans une danse lascive sur une musique inspirée de celles que l’on retrouve dans le théâtre balinais.
De son côté, Tache part à la recherche de son ami, pestant contre la montagne, et rencontre un élan vif et agile, à la Peer Gynt, une actrice avec pour seul costume des cornes en pailles colorées qui m’a donné à voir le plus bel et le plus vrai élan de ma vie, sans doute plus vrai qu’un élan naturel, qui le guide dans la montagne jusqu’à la grotte du dinosaure. Là a lieu un combat épique entre le ptérodactyle, qui rappelle le Mythra de certains King Kong et Godzilla, et l’alpiniste armé d’un fémur humain en papier maché ; combat auquel Mousse met fin en expliquant à son ami qu’il est essentiel que les petits du monstre soient nourris, que « c’est naturel de suivre la loi de la sacrosainte chaine alimentaire », peu à peu, le prisonnier du monstre se convertit aux croyances de son geôlier et en tombe même amoureux ! Il se lance alors dans un monologue si chargé de pathos, accompagné d’un piano larmoyant, qu’il ridiculise les pires séries B et nous fait nous étouffer de rire. La ptérodactyle se lance à nouveau dans une danse lascive mais cette fois ci sur une musique des années quatre-vingt, se changeant rapidement en gogo-danseuse géante qui séduit et dévore sa victime. Enfin, le spectacle se clôt sur une magnifique scène où Tache, perdu dans la neige, se laisse aller à l’hypothermie en chantant la beauté de la montagne et son amour pour elle.
Il s’agit là d’une fable folle ou se rencontrent les masques et les marionnettes, un croisement entre le fantasme du théâtre d’Ariane Mnouchkine, et non pas fantasme de l’orient, et une langue fricotant avec celle de Valère Novarina. Tout le spectacle est dans la jouissance du jeu, du délire et de la langue. Il s’agit de se laisser aller à rêver une histoire sur la scène et à se laisser emporter par la poésie du verbe et des images. Un spectacle à voir encore et encore !
Romain Nicolas
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