“Drumming Live” d’Anne Teresa De Keersmaeker : une pièce hypnotique à La Villette
Anne Teresa de Keersmaeker (née en 1960) a fait salle comble à La Villette pour Drumming Live, une de ses pièces les plus connues. Créée en 1998 sur la partition de Steve Reich (né en 1936), la pièce illustre les principes de composition de la chorégraphe, fondés notamment sur une trame géométrique rigoureuse.
Anne Teresa De Keersmaeker a un lien fort avec la musique minimaliste de Steve Reich. Il a composé Drumming, une partition pour percussions, après un voyage en Afrique en 1970 – 1971. La première pièce d’Anne Teresa de Keersmaeker, Fase, s’appuyait sur une musique du compositeur. Elle a eu besoin de plus de maturation pour chorégraphier sur Drumming qu’elle considère comme un chef-d’œuvre. En 1998, elle crée la pièce qui connaît un grand succès – devenue Drumming Live, car les musiciens de l’Ensemble Ictus sont sur scène avec les danseurs. Pour cette saison, elle était programmée au Festival d’Automne.
Des jeux d’influence
Le décor est épuré avec au fond du plateau un écran blanc qui devient irisé ou sombre. Sur le sol, figures géométriques et rouleaux de tapis forment des touches orangées. Dans Drumming Live, la luminosité s’accorde aux rythmes des percussions et de la chorégraphie. Douze danseurs composent des mouvements basés sur des spirales, des tracés, une géométrie des déplacements. Le plateau pourrait être remplacé par du papier millimétré. Il y a une gestuelle répétitive sur des temporalités plus ou moins intenses. Nous assistons à des courses, des envolées. Les gestes sont concis et la danse relève de la performance. Constamment, il se crée des effets de symétrie et de miroir. Les danseurs évoluent sur scène et certains vont jusqu’aux musiciens, puis se tournent face au public. Quand les danseurs rejoignent les côtés latéraux, ils restent présents et attentifs. Mais les musiciens qui ne jouent plus quittent le plateau.
Dans Drumming Live, se mêlent des jeux d’influence à plusieurs niveaux. Si les sonorités font penser à l’Afrique, il semble qu’il y ait des emprunts à des danses africaines, d’Amérique Latine, et même d’Extrême-Orient : célébrations ou incantations, gestes lents et souples. Il y a également des interactions entre les couleurs, des effets de réverbération et bien sûr les mouvements des danseurs et des musiciens – qui entrent et sortent.
Une pièce lumineuse
Le spectacle s’anime par différents points d’où jaillissent des danses, des marches, des traversées. Dans cette pièce très dense, les danseurs courent, prennent de l’élan, se coordonnent, établissent des liens dans le collectif. Des moments de rupture succèdent à un rythme effréné. Les éléments du décor deviennent fluorescents, incandescents et s’harmonisent aux ambiances. Drumming Live est une pièce lumineuse qui capte le regard. La dimension visuelle est importante, valorisée par la chorégraphie très vive et aussi par la scénographie, les lumières et les tenues des danseurs. Le vêtement contribue à donner un rôle à chaque danseur, notamment à ceux qui composent les principaux solos et duos. Les danseurs, tous pieds nus, portent des tenues du couturier Dries Van Noten (né en 1958) : robes fluides, pantalons et chemises ou tee-shirts pour les hommes. Par les couleurs dominantes – blanc et orange, les vêtements font écho au décor. Certaines tenues apportent une note scintillante ; un danseur habillé en blanc avec une chemise satinée occupe souvent la place centrale de la scène. Vers la fin de la pièce, une danseuse se transforme en Reine de la nuit avec une robe à paillettes. Elle est entourée, portée ; cette séquence évoque les shows de la télévision des années 1970, pendant la période Disco.
Anne Teresa de Keersmaeker propose une pièce sensorielle, hypnotique, qui s’appuie sur de riches collaborations artistiques et le talent des danseurs dont le niveau atteint la perfection. Sensible aux rythmes, aux timbres de la composition de Steve Reich, elle inscrit sa pièce dans un lien fusionnel avec cette musique.
Drumming Live est certainement une pièce-portrait de la chorégraphe, elle y a mis beaucoup de sa personne et de son travail en y développant les principes qu’elle applique à son langage chorégraphique.
Fatma Alilate
Articles liés
Un week-end à l’Est… en plein Paris ! Édition 2024
Célébrant les cultures de certains pays d’Asie et d’Orient pour la huitième fois d’affilée, le festival Un week-end à l’Est a décidé de mettre à l’honneur cette année, Erevan, mais plus généralement, l’Arménie. A l’instar donc des éditions précédentes,...
“Travelling song”, le concert de musique de la Renaissance au Temple de Port-Royal
Avec « Traveling Songs », nous proposons un voyage musical à travers l’Europe de la Renaissance, autour de pièces très célèbres de la fin du XVe siècle au début du XVIIe siècle, dont les mélodies ont été reprises et...
La compagnie de théâtre de masques Kulunka Teatro présente “Solitudes”
Après l’immense succès de André et Dorine, la formidable compagnie de théâtre de masque KULUNKA TEATRO, si habile à provoquer autant de rires que d’émotions intenses en se passant de mots, propose une nouvelle création dans la même veine poétique. Le...