Douce : rêve de femme au Théâtre Lepic
Quatre jeunes comédiens interprètent une nouvelle de Dostoïevski dans le très intime écrin du Théâtre Lepic sur la Butte Montmartre. Mis en scène et adapté finement par André Oumansky, le texte raconte le suicide d’une jeune femme que venait d’épouser un ancien officier de l’armée devenu prêteur sur gage. Haletant et magnétique.
Une vie de femme
C’est un petit bijou littéraire et dramatique, que le cinéaste Robert Bresson avait lui-même adapté dans le film Une Femme douce. Nous sommes en 1876 et la nouvelle qu’écrit Dostoïevski dans le Journal d’un écrivain s’inspire d’un fait divers : le suicide d’une couturière sans travail. Ici, il s’agit d’un ancien officier, renvoyé de l’armée et reconverti en prêteur sur gage, qui raconte comment sa jeune femme a été conduite à se défenestrer. Elle gît allongée à côté de lui, sur une table, et l’homme a bien du mal à trouver ses mots, à réunir ses pensées. Nicolas Natkin interprète cet homme qui, peu à peu, va faire revivre sa jeune épouse, épaulé par sa servante Loukéria. Le comédien est d’une sobriété remarquable, modelant ses affects et ses émotions au scalpel, dans le clair-obscur des lumières de Yohann Marionnet. Anna Stanic, blonde et évanescente, est la jeune femme pauvre qui contacte l’usurier avec ses pauvres trésors. Dans une économie de mouvements elle aussi, elle déploie ce qu’il faut de grâce et de malheur, dans la mise en scène d’André Oumansky, pour faire vibrer le spectateur et attiser le mystère. Rose Noël, qui incarne la servante, et Maxime Gleizes, qui campe le camarade de régiment dans la posture perverse du séducteur, complètent la distribution de ce spectacle captivant qui se situe entre confession et théâtre. Ce portrait de femme en creux, dont l’amour et la bonté sont achetés par la richesse du prêteur sur gage, nous renseigne aussi sur l’intemporel destin des femmes sans argent et sans condition, assoiffées de rêve et d’amour, et dont le mariage est monnayé froidement, mais aussi sur l’éternel malentendu de l’amour dont la tragique issue, chez l’écrivain russe, fait frissonner.
Hélène Kuttner
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