Dominique Petit : “Je pense que la danse est un état plutôt qu’une action”
Rencontre avec Dominique Petit, danseur contemporain, chorégraphe et enseignant que les plus grands festivals de danse ont eu la chance d’accueillir. Il nous offre dans cette interview le récit de sa vie, aussi riche en projets qu’impressionnante.
Bonjour Dominique, pouvez-vous vous présenter ?
Je vais essayer d’être bref parce que j’ai presque 70 ans donc ça fait 50 ans de danse à résumer. Ce qui définit le plus ma vie dans la danse, c’est que je n’ai pas arrêté de conjuguer dans le temps l’interprétation, l’enseignement et la chorégraphie, avec des périodes où j’étais plus dans l’enseignement, d’autres plus dans la chorégraphie et d’autres où j’étais plus interprète, suivant l’évolution et la maturité de ma carrière. Mais c’est ce qui a fait que j’ai toujours travaillé et pu vivre de la danse depuis 50 ans.
Comment votre évolution dans le monde de la danse s’est-elle déroulée ?
J’ai commencé la danse tard, à 20 ans. J’ai rencontré Paul Sanasardo, un très grand professeur et un chorégraphe d’une grande originalité. Il avait son école à New York et c’est là où j’ai fait mes apprentissages dans le début des années 70, puis il m’a pris dans sa compagnie et j’ai pu commencer à interpréter différents rôles. En 1974, je suis rentré en France car je n’avais plus de visa et il fallait que je fasse mon service militaire… J’ai eu la chance de rencontrer rapidement Carolyn Carlson, chorégraphe américaine qui venait d’être nommée danseuse étoile et chorégraphe à l’Opéra de Paris. Elle était chargée de former une sorte de groupe de recherche pour renouveler et amener une autre image de l’Opéra de Paris. Elle incluait dans son enseignement la technique, mais aussi l’improvisation et le travail de composition chorégraphique. À cette époque-là, on passait au festival d’Avignon, on a fait tous les grands festivals et des tournées un peu partout. C’était une vie formidable, beaucoup de créations se succédaient mais ça a aussi été un très grand apprentissage.
Quand ce contrat s’est terminé, je sentais qu’il était temps pour moi d’utiliser ces outils pour essayer de faire mes propres chorégraphies. Petit à petit, j’ai commencé par faire des solos, puis des duos. En 1983, j’ai décidé de fonder ma propre compagnie et de devenir chorégraphe. Ça a été ma vie pendant 15 ans, complètement à fond dans la chorégraphie avec plus ou moins de reconnaissance suivant les pièces. J’ai pu en vivre, avoir une compagnie qui était largement subventionnée et reconnue par le ministère de la Culture et qui m’a amené une reconnaissance effective de chorégraphe en France et en Europe. À ce moment-là, je me produisais un peu partout, j’ai dû être programmé dans tous les festivals en France. J’ai aussi beaucoup tourné à l’étranger car les spectacles pour lesquels j’ai eu le plus de reconnaissance étaient des petites formes de solos ou de duos, des spectacles faciles à tourner parce qu’ils n’étaient pas chers ce qui nous a permis de tourner à l’étranger, en Amérique latine, en Afrique, en Europe centrale, au Japon…
Arrivé en 96, j’ai atteint un point de rupture. Je sentais qu’il était difficile de mener de front la compagnie, de rester danseur et d’avoir une vie de famille. Au même moment, le CNDC (Centre National de Danse Contemporaine) de la ville d’Angers m’a proposé de devenir coordinateur des études et j’y ai passé quatre ans. Ça a solutionné mon dilemme, j’ai découvert que mon énergie était beaucoup plus canalisée dans l’enseignement. Suite à ça, j’ai pris un poste d’enseignant au Conservatoire de La Roche-sur-Yon. Je n’avais jamais pensé à enseigner à plein temps et je n’avais jamais fait de conservatoire. Finalement, je me suis énormément épanoui comme enseignant dans ce conservatoire pendant 15 ans, jusqu’en 2015 où j’ai atteint l’âge de la retraite.
Comment vivez-vous votre retraite aujourd’hui ?
Je pensais que j’allais avoir une retraite calme et tranquille mais j’ai eu la chance d’être sollicité par des chorégraphes, des metteurs en scène, ce qui fait que j’ai eu chaque année quasiment, des projets qui m’ont ramené à la scène comme interprète. Puis il y a deux ans, le chorégraphe anglais Akram Khan m’a engagé pour sa dernière création qui a été donnée au Festival d’Avignon en 2009. J’ai donc été vivre à Londres pendant 3 mois pour faire cette création et ensuite, jusqu’au confinement, on était en tournée un peu partout à travers le monde. La tournée a été brutalement interrompue depuis le 17 mars. J’avais organisé ma vie autour de cette tournée et je n’ai pas d’autres perspectives que sa reprise hypothétique, bien que j’en doute vu la tournure que prennent les événements.
Que vous apporte la danse aujourd’hui ?
Très difficile d’y répondre, car la danse est avant tout une expérience. Quand on en est privé comme maintenant, on est totalement démuni. Des fois je ne sais même plus ce qu’est la danse car hors de l’expérience, il ne reste pas grand chose. Je parle “d’états” car je pense que c’est un état plutôt qu’une action. J’ai traversé des états qui sont ce qu’on peut appeler des états de modification de conscience. Avec ces modifications, on touche l’impalpable, l’invisible, une autre dimension, qui sont je pense, les réelles dimensions de l’homme. À travers l’art, j’ai pu toucher à cela et ça m’a ouvert à l’idée que l’homme était plus grand que ce que la société ordinaire laisse à penser.
Quels sont les projets qui vous ont le plus animé au cours de votre carrière ?
Comme interprète j’ai eu une chance immense, je n’ai dansé que des choses magnifiques. Ce passage avec Carolyn Carlson au Festival d’Avignon, dans la Cour d’honneur du Palais des papes, ce sont des expériences exceptionnelles pour un danseur. Les souvenirs les plus marquants, je les ai peut-être vécus en tant qu’interprète. Je pense également à cette pièce d’Akram Khan. D’abord pour la pièce elle-même, exceptionnelle, et puis le fait d’être interprète à plus de 70 ans, d’avoir été choisi pour tenir le rôle. Comme chorégraphe, j’ai eu deux pièces qui ont eu beaucoup de reconnaissance et qui ont tourné à l’étranger : un duo, Jade, que j’ai chorégraphié avec Anne Carrié et une autre pièce, Les tournesols, l’une des premières à avoir une distribution exclusivement d’hommes, que j’ai écrite en 1989 et qui a eu un retentissement en France et à l’étranger. Cela m’a permis d’éprouver un vrai sentiment d’accomplissement en tant que chorégraphe. Je me suis senti en accord avec ces pièces et ce qu’elles disaient. Enfin comme enseignant, l’expérience au Conservatoire de La Roche-sur-Yon a été magnifique car elle m’a permis de développer l’enseignement dont je rêvais. Je pouvais laisser une place à l’improvisation pour les danseurs, à leur propre travail d’écriture chorégraphique, et aussi créer des pièces avec eux et pour eux. Il y a très peu d’endroits où l’on peut faire ça, en tout cas dans les conservatoires.
Comment gérez-vous la crise sanitaire en tant qu’artiste ?
J’ai des manques, pour un danseur c’est très difficile. D’abord, la danse est un art qui se pratique ensemble. Ne pas pouvoir se réunir, répéter, donner des stages ou enseigner, ça revient à ne pas pouvoir pratiquer son métier, et évidemment ne pas pouvoir se produire sur scène. Il y a des troupes, comme celle de Mickaël Le Mer, qui peuvent créer leurs pièces car les théâtres restent ouverts pour que les artistes puissent créer justement, mais la pièce ne sera pas donnée en public, uniquement filmée sur les réseaux. Pour moi ce n’est pas le même art sans la présence du public, les choses perdent tout leur sens.
Propos recueillis par Marcie Dupont
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