Dom Juan – Théâtre du Nord
Dès le début de la pièce, Julie Brochen met en scène le sentiment d’urgence qui se fera de plus en plus pressant alors que Dom Juan refuse une à une toute forme de rédemption : sa célèbre tirade, qui ouvre le premier acte, Sganarelle la fait sous la menace du couteau de Gusman au nom de sa maîtresse outragée par Dom Juan. A cette épée de Damoclès qui jette une ombre constante sur la tête du jeune séducteur répond, comme un écho funeste, le requiem de Mozart, joué sur la scène au piano et chanté par les comédiens.
Sourd à cette messe funèbre annonçant son destin, Dom Juan arpente le plateau en jouant du fer comme du verbe amoureux alors qu’il multiplie les conquêtes et les ennemis. Tour à tour, son valet Sganarelle, sa femme Elvire ainsi que les frères de cette dernière, son père Dom Louis, tentent de lui faire voir les dangers et l’immoralité de la voie qu’il a choisie : jeune et impétueux, Dom Juan leur rit au nez et refuse toute pénitence. En confiant le rôle à Mexianu Medenou, encore élève de l’Ecole du TNS, Julie Brochen fait le choix de la jeunesse, de la fraîcheur, et le choix de vie de Dom Juan devient une rébellion adolescente, ce qui laisse de côté la maturité dans la réflexion menée par le libertin : si Dom Juan perd en cynisme et en profondeur, il gagne en vitalité et en insouciance. A ses côté, Ivan Hérisson campe un excellent Sganarelle, lâche à souhait, désespérément lucide, aussi servile que drôle.
La troupe qui l’entoure interprète avec justesse et rigueur le texte de Molière, qui s’anime avec une force jubilatoire sous les yeux du public du Théâtre du Nord : la fine rhétorique des joutes verbales entre Dom Juan et Sganarelle ravit tout autant que le patois gouailleur des paysans. La scénographie hispanisante, où l’usage de terre et de bois évoquent les planches dans lesquelles finira Dom Juan, les comédiens, vêtus de costumes d’époque, les accessoires, dont deux grands chevaux de ferraille montés sur des rails : tout sur scène rappelle les artifices du théâtre, au sens le plus noble du terme. Les jeux d’ombres et de lumière, animés tout autant par l’éclairage du théâtre que par l’usage de bougies, créent une ambiance calfeutrée, intime, rappelant parfois les tableaux de Rembrandt. Seul regret : si le choix de faire jouer la statue du Commandeur par une femme se révèle intéressant, la mise en scène de cet artifice majeur de la pièce de Molière manque d’ambition, dans la mesure où elle ne crée pas le saisissement que l’on attend de cette scène.
Ce que l’on retient en sortant de cette production, c’est le bonheur d’avoir assisté à une rare alchimie de l’art du théâtre et du public, attentif aux moindres paroles des comédiens. Ah, que ce théâtre-là est réjouissant !
Audrey Chaix
Dom Juan
De Molière
Mise en scène de Julie Brochen
Avec Muriel Inès Amat*, Christophe Bouisse, Fred Cacheux, Jeanne Cohendy, Hugues de la Salle, Julien Geffroy, Antoine Hamel*, Ivan Hérisson*, Mexianu Medenou, Cécile Péricone*, André Pomarat, Hélène Schwaller, Elodie Vincent et Vincent Leterme, Nikola Takov (en alternance)
* Comédiens de la troupe du TNS
Du 3 au 14 décembre 2011 à 20h
Tarifs : de 8 à 23 €
Réservations au 03.20.14.24.24 ou sur le site du théâtre
Durée : 2h
Théâtre du Nord
Place du Général de Gaulle
59000 Lille
[Photo : © Franck Beloncle]
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