“Discussion avec DS” : les éclats de vie de Delphine Seyrig magnifiés au Théâtre de la Bastille
De la passion pour Delphine Seyrig est né un spectacle lumineux comme une pépite, conçu par la jeune comédienne Raphaëlle Rousseau avec l’aide de Prémisses, du TNB et et du Théâtre de l’Athénée. Le spectacle prend place actuellement au Théâtre de la Bastille dans une ambiance feutrée et cinématographique où vie et mort se côtoient pour évoquer les fantômes du théâtre, du cinéma, et la difficulté d’être actrice : sensible et beau.
“Sois belle et tais toi”
C’est le titre du documentaire tourné avec des actrices américaines que Delphine Seyrig, alors réalisatrice, a tourné en 1975 et 1976. Un titre en forme de clin d’oeil au film de Marc Allégret, mais qui révèle tout ce que la mythique comédienne française dénonçait : la dépendance des actrices à la beauté et à l’image, les sacrifices qu’il leur faut opérer vis à vis de leur vie familiale et leurs enfants, le lien délétère aux producteurs qui leur promettent des rôles en fonction de leurs critères esthétiques et photogéniques. Seyrig, égérie d’Alain Resnais et de François Truffaut, blonde diva qui refusait, tout en s’en servant, l’image sophistiquée dans laquelle on aimait l’enfermer -quitte à s’en débarrasser totalement avec Marguerite Duras ou Chantal Akerman – prenait aisément la parole de sa voix rauque et sensuelle, défendant la liberté des femmes et l’avortement avec générosité et en prenant le risque de perdre des rôles.
Un mythe
Comment dialoguer avec un mythe ? La jeune Raphaëlle Rousseau, avec une intelligence scénique plus que subtile, imagine un dialogue post-mortem avec une idole qu’elle découvre durant son apprentissage de comédienne. La représentation prend place dans une salle en forme de chapelle jonchée de petites bougies artificielles et de photos, d’affiches de Seyrig dans tous ses rôles. Pour autant, semble nous alerter la comédienne avec une série de surtitres cocasses en forme d’excuses, il ne va pas s’agir d’un hommage sérieux et dramatique, avec prières et dévotions. Seyrig n’est pas Callas, et Raphaëlle va lentement devenir le double de Delphine, en pénétrant dans sa vie par des extraits sonores, véritable montage journalistique qu’elle a effectué à travers des interviews radiophoniques et télévisées. On entend donc la voix de Seyrig, cette voix rauque et magnétique, qui choisit les mots comme des fleurs, et cette voix se déplace dans l’espace grâce à un ingénieux dispositif sonore. Raphaëlle, en pantalon de jogging vert pomme, s’en fait la candide interlocutrice, jeune comédienne qui s’interroge et interroge son mythe sur la difficulté d’être actrice, de vivre sa vie de femme, d’habiter des personnages en restant soi-même tout en acceptant de représenter aussi le fantasme des autres.
La vie, la mort et le reste
“Il vous faut mourir sur la scène pour devenir comédienne”. C’est donc ce que va tenter de faire la comédienne, qui dans un geste extraordinaire vers l’au-delà, rejoint son idole au pays des fantômes. Par un jeu de mises en abime successives, de sorte que l’on ne sait plus qui est qui, Raphaëlle rejoint Delphine et revient sur terre avec du rouge à lèvres et un nuage de strass sur un fourreau de soie noire. Le sourire éternel de Seyrig reste accroché au visage rieur de la comédienne, avec sa perruque blonde. Le tour est joué, mais sans jamais que cette transformation ne vire au pastiche. Et c’est ce qu’il y a de très émouvant dans ce spectacle, qui prend la forme d’un invitation, d’un échange, d’un dialogue d’une intelligence revigorante. Celle de Seyrig, lumineuse et fragile, plus vraie que nature, qui croise les interrogations et le cheminement de Raphaëlle, pour notre plus grande joie.
Hélène Kuttner
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