Dimitris Papaioannou sur les pas de Pina Bausch
Invité à créer avec le Tanztheater Wuppertal, le magicien grec des images de corps surréels a trouvé une symbiose parfaite avec l’esprit de la compagnie fondée par Pina Bausch. Avec Since She, les amateurs des deux styles se régalent à part égale. La magie Papaioannou est au rendez-vous, face à l’humour façon Pina, parfois hilarant.
A la Grande Halle, le Théâtre de la Ville et La Villette présentent le dernier opus en date de Dimitris Papaioannou, où on croise un bouc, une méduse, la toison d’or, un centaure et un ou deux Ulysse. Une femme en robe de soirée est traversée de flèches qui s’accumulent jusqu’à la transformer en boule solaire. Un homme – un Sisyphe? – empile les chaises sur son propre corps jusqu’à ne plus tenir en équilibre sous leur poids, jusqu’à s’effondrer au milieu de ces vestiges de Café Müller. Les hommes s’adonnent parfois à des moments d’oisiveté méditerranéenne et l’ensemble donne l’impression que Pina se serait rendue à Athènes pour y puiser des inspirations pour une nouvelle pièce « de voyage ».
Le décor, une montagne de matelas sombres, rappelle aux uns les monuments scénographiques de Peter Pabst, réalisés pour Pina Bausch et aux autres la scénographie de The Great Tamer. Comme dans The Great Tamer, Papaioannou nous surprend sans cesse, en multipliant les actions simultanées dans différents coins du plateau. Comme Bausch, il a ce don à résumer la condition humaine, d’un regard universel et pragmatique à la fois. Et il enchaîne les tableaux à la manière de Pina, sans forcément construire une narration d’ensemble.
Since She : Elliptique, le titre fait allusion à la disparition de Pina Bausch, il y a dix ans. n quatre décennies de création Pina portait sur l’être humain un regard sans complaisance, mais empli de tendresse. Since She se réfère à ce legs universel avec un flot d’images où fusionnent les dimensions tragique et grotesque de la condition humaine. Du Tanztheater bauschien, le chorégraphe de Still Life et The Great Tamer souligne, à sa façon personnelle, non sans quelques belles citations du répertoire bauschien, avec sa passion pour la relation hommes-femmes, les belles robes, les chaises et les décors monumentaux.
On sent chez Papaioannou que son propre univers est suffisamment personnel, fortifié et structuré pour pouvoir se superposer à celui de Pina Bausch dans un équilibre parfait. Le prodige grec maintient aussi son propre format, dans lequel il est à l’aise. Since She est une pièce d’une heure et vingt minutes. Et de combien d’images subjuguantes ? Impossible de compter les ensembles de corps et d’objets qui défient l’entendement, qui assemblent des personnages à partir des membres des uns et des autres, puisant dans la mémoire collective et nos troubles ou fantasmes partagés. Et on recommande cette pièce avant tout à celles et ceux qui ont encore tout à découvrir de l’art si particulier de Dimitris Papaioannou.
Thomas Hahn
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