Détails diaboliques au Rond-Point
Le diable se cache dans les détails, nous glisse à l’oreille le dramaturge suédois Lars Norén, dans cette pièce autobiographique qui raconte les aléas de deux couples dans les années 90 à travers la focale d’un télé-objectif cruellement caustique. Quatre comédiens remarquables, dont Isabelle Carré, nous immergent dans leur petit monde mis en scène par Frédéric-Bélier Garcia.
Un univers de tous les possibles
Ann et Erik vivent ensemble depuis quelques années dans un appartement du centre de Stockholm. Elle est médecin hospitalier, lui est éditeur, ils fréquentent les salles de spectacles et les musées, passent l’été dans une villa en Toscane, travaillent tous deux beaucoup mais ont tous deux du mal à être heureux. Un jour, Erik rencontre Emma, une jeune femme qui lui apporte un roman, et qui finit par l’obséder nuit et jour. De son côté, Ann fait la connaissance de Stefan, un jeune auteur de théâtre, venu la consulter à l’hôpital pour ses insomnies. Stefan se révèle être le petit ami d’Emma. Au fil de trente scènes emboitées les unes aux autres grâce à une réplique qui clôt la précédente et débute la suivante, notre quatuor de personnages va s’aimer, se perdre, se méprendre ou se tromper dans la lumière la plus crue.
Des acteurs brillants de justesse
Le metteur en scène Frédéric Bélier-Garcia a fait le choix d’un espace unique, une grande pièce informelle où glissent lits, tables et chaises qui situent chaque lieu. Seule la lumière, chaleureuse ou froide, ou la volupté d’un nu de Courbet insuffle aux scènes leur contexte, chambre à coucher ou hall d’hôpital, restaurant italien branché ou salle du Musée des Offices à Florence. Traversant à la vitesse de l’éclair ces espaces à la fois réalistes et imaginaires, les comédiens sont éblouissants de justesse et de précision, apportant immédiatement le suc d’un jeu concentré au fil de dialogues aiguisés sur le fil d’un rasoir, flirtant sans arrêt entre la sincérité et l’ironie, la plaisanterie et la douleur. Peut-être est on tous perdus par un trop plein de communication, qui nous enjoint à tout dire, semble dire Lars Norén. Isabelle Carré est toujours lumineuse en jeune femme brillante et en manque d’amour, d’une vérité absolue. Son mari à la scène, Laurent Capelluto, est lui aussi formidable d’engagement et de vérité, tandis qu’Ophelia Kolb et Antonin Meyer-Esquerré incarnent les jeunes amants qui sèment le trouble, avec une vigueur et une fraîcheur tout à fait séduisantes. Amateurs de beau théâtre et de faux-semblants sur fond d’un vingtième siècle finissant, ce spectacle est pour vous.
Hélène Kuttner
Articles liés
“Tant pis c’est moi” à La Scala
Une vie dessinée par un secret de famille Écrire un récit théâtral relatant l’histoire d’un homme, ce n’est pas seulement organiser les faits et anecdotes qu’il vous transmet en une dramaturgie efficace, c’est aussi faire remonter à la surface...
“Un siècle, vie et mort de Galia Libertad” à découvrir au Théâtre de la Tempête
C’est Galia Libertad – leur amie, leur mère, leur grand-mère, leur amante – qui les a réunis pour leur faire ses adieux. Ce petit groupe d’amis et de proches, trois générations traversées par un siècle de notre histoire, se retrouvent...
“Chaque vie est une histoire” : une double exposition événement au Palais de la Porte Dorée
Depuis le 8 novembre, le Palais de la Porte Dorée accueille une double exposition inédite, “Chaque vie est une histoire”, qui investit pour la première fois l’ensemble du Palais, de ses espaces historiques au Musée national de l’histoire de...