Derniers remords avant l’Oubli – Théâtre Mouffetard
Quelle force supérieure que l’amitié ? La désillusion d’être déçu par celle ou celui qu’on a aimé ? Pour cette aventure des amis-perdus-retrouvés, Jean-Luc Lagarce nous dit presque tout et Julie Deliquet fait le reste. Silences et non-dits émaillent cette illusion permanente que nous avons de nous installer pour de bon, spectateurs que nous sommes, chez d’anciens copains des années folk qui ont décidé de se retrouver après moult années de séparation dans la maison qu’autrefois ils achetèrent et que l’un d’entre eux veut vendre
Julie Deliquet, metteuse en scène, a un regard globalisant de l’action et laisse venir le jeu des acteurs sans « faire de la direction d’acteur ». Sa vision de cinématographe, avec un montage en plan-séquences se dégage des règles établies. Tout se passe dans une unité de lieu qui réunit les spectateurs et les acteurs et dont l’unité de temps est l’immédiateté. Entrées ou sorties ne marquent pas la fin d’un acte, il n’y en a pas, mais soulignent le déplacement évident d’un personnage qui a son trop plein d’émotion et qui fuit en jardin pour revenir quoiqu’il en soit parce qu’ici, tous sont tellement heureux de se retrouver !
« J’ai pu passer avec une certaine facilité à un langage très quotidien. Il m’a fallu décompartimenter, évacuer les tableaux successifs au profit d’un seul espace, cette grande pièce où se déplacent les personnages, tous actifs, chacun à l’écoute de l’autre. Sur la scène, tous existent en même temps, la parole est collective, sans échanges privés. Je suis fascinée par les acteurs. »
L’écriture de JL Lagarce, très personnelle, rappelle Christian Oster, ce romancier français qui avec un rien s’éloigne du pas grand chose pour faire un tout. Avec ses répétitions programmées, elle reste quotidienne et souligne la fragilité des rapports entre les êtres qui s’aiment. Cette expression du sentiment d’abandon est parfaitement exprimée par Eric Charon (Pierre) et par Gwendal Anglade (Paul), deux hommes qui s’aimaient assurément comme ils partageaient l’amour d’Hélène (Julie André), alors installés dans ce qui était leur maison.
Certains auront vu en Pierre la représentation hagarde d’un Lagarce qui vient d’apprendre sa contamination par le virus du sida. Pourtant, la maladie n’est pas évoquée dans le texte alors que l’ombre portée des amours partagées s’enroule autour des personnages de ce drame d’où s’extrait, Antoine (Olivier Faliez), le nouveau mari d’Hélène, sorte de Bacri en moins convenu, profane jeté là dans le cercle vertueux de ceux qui partagent la même culture avec leurs codes et leurs clefs d’entrée. Est-ce pour lui qu’Hélène a un besoin compulsif d’argent ? A-t-il perdu son emploi ? Accessoirement, est-il vraiment le père de Lize (Annabelle Simon) la jeune fille de 17 ans qu’il a eu avec Hélène ? Paul nous fait douter de cette paternité d’autant que le jeu rentré d’Agnès Ramy (Anne) drôle, émouvante, le désigne presque directement.
Patrick Ducome
Derniers Remords avant l’Oubli
De Jean-Luc Lagarce
Mise en scène Julie Deliquet
Avec Julie André (Hélène), Gwendal Anglade (Paul), Eric Charon ou Serge Biavan (Pierre), Olivier Faliez ou David Seigneur (Antoine), Agnès Ramy (Anne), Annabelle Simon ou Julie Jacovella (Lise)
Lumières Richard Fischler
Musique David Georgelin
Vidéo Mathilde Morières
Jusqu’au 20 novembre 2010
Du mercredi au samedi à 21h, dimanche à 17h (relâche le 7 novembre)
Théâtre Mouffetard
73 rue Mouffetard
75005 Paris
Métro Place Monge
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