Décryptage – “La Reprise” de Milo Rau
© Michiel Devijver
La pièce de Milo Rau décortique de tous les côtés les possibilités du théâtre, ses limites, les limites des comédiens et de ce que nous trouvons acceptable sur scène. Elle explore et questionne les principes basiques du théâtre qui semblent évidents, et pourtant méritent une remise en question totale.
Le sujet tourne autour d’un crime, d’un meurtre commis par un groupe de jeunes hommes. Ihsane Jarfi monte à bord de leur voiture près d’un club gay, son corps nu est retrouvé deux semaines plus tard, abattu violemment. Le spectateur ne voit pas seulement la réalisation de ce meurtre humiliant et violent, mais tout ce qui le précède.
Ce qui se passe dans la vie de chacun de ces personnages et de leur entourage avant, pendant, et après l’acte. Nous n’avons pas devant nous des “méchants” ou “gentils”, nous avons de vrais personnes, leurs histoires, leurs témoignages. Le spectateur est face à une réalité qui est la nôtre, des personnages ordinaires et des actions à conséquences. On voit très vite comment cette violence se déchaîne et comment, même sans s’y attendre, il est possible d’aller jusqu’à commettre un meurtre.

ⒸHubert Amiel
On se demande s’il est possible de montrer cela sur scène, si le public est en mesure de faire face à de telles choses, mais ce n’est pas la seule question qui se pose. La pièce est interrompue par des morceaux d’interviews des comédiens, sur leur propre expérience et sur ce à quoi ils seraient prêts pour une pièce. La dimension réelle des rôles, ainsi que la relation établie entre les acteurs et nous, à qui cette réflexion s’adresse, est illustrée par un monologue repris à deux fois, tiré d’un livre de Wajdi Mouawad, interprétant ce rapport.
La pièce est très émouvante, ramenant des événements concrets au théâtre. Elle reflète la réalité de la manière la plus brusque qui soit, elle nous oblige à voir en face ce qui se passe. Entendre une nouvelle est une chose, la voir face à soi, enrobée dans une réflexion de ce qu’on peut ou ne peut pas faire, en est une autre. Le comédien n’est pas tout à fait “masqué” en son personnage, l nous parle et nous défie, au point où nous mêmes, assis dans les sièges devenons acteurs.
Nous pouvons accepter de dénoncer la violence sur scène, nous pouvons parler de thèmes difficiles, écouter des témoignages, se poser les bonnes questions mais il advient un moment, où on ne peut plus le tolérer. Lorsqu’on ne sait plus ce qui est vrai ou ce qui ne l’est pas, quand ca devient trop frappant, trop violent pour nous, on est plus neutres, on est témoins. Témoins d’un acte qui a eu place et qui pourrait se reproduire, témoins d’une violence qui nous dépasse. Il ne reste plus rien à imaginer, tout est là, cru, saignant. On a peur. Personne ne peut rester indifférent face à la violence.
Propos de Maria Krasik
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