0 Shares 2034 Views

Décryptage – “La Reprise” de Milo Rau

Maria Krasik 9 juin 2020
2034 Vues

© Michiel Devijver

La pièce de Milo Rau décortique de tous les côtés les possibilités du théâtre, ses limites, les limites des comédiens et de ce que nous trouvons acceptable sur scène. Elle explore et questionne les principes basiques du théâtre qui semblent évidents, et pourtant méritent une remise en question totale. 

Le sujet tourne autour d’un crime, d’un meurtre commis par un groupe de jeunes hommes. Ihsane Jarfi monte à bord de leur voiture près d’un club gay, son corps nu est retrouvé deux semaines plus tard, abattu violemment. Le spectateur ne voit pas seulement la réalisation de ce meurtre humiliant et violent, mais tout ce qui le précède.

Ce qui se passe dans la vie de chacun de ces personnages et de leur entourage avant, pendant, et après l’acte. Nous n’avons pas devant nous des “méchants” ou “gentils”, nous avons de vrais personnes, leurs histoires, leurs témoignages. Le spectateur est face à une réalité qui est la nôtre, des personnages ordinaires et des actions à conséquences. On voit très vite comment cette violence se déchaîne et comment, même sans s’y attendre, il est possible d’aller jusqu’à commettre un meurtre.

ⒸHubert Amiel

On se demande s’il est possible de montrer cela sur scène, si le public est en mesure de faire face à de telles choses, mais ce n’est pas la seule question qui se pose. La pièce est interrompue par des morceaux d’interviews des comédiens, sur leur propre expérience et sur ce à quoi ils seraient prêts pour une pièce. La dimension réelle des rôles, ainsi que la relation établie entre les acteurs et nous, à qui cette réflexion s’adresse, est illustrée par un monologue repris à deux fois, tiré d’un livre de Wajdi Mouawad, interprétant ce rapport.

La pièce est très émouvante, ramenant des événements concrets au théâtre. Elle reflète la réalité de la manière la plus brusque qui soit, elle nous oblige à voir en face ce qui se passe. Entendre une nouvelle est une chose, la voir face à soi, enrobée dans une réflexion de ce qu’on peut ou ne peut pas faire, en est une autre. Le comédien n’est pas tout à fait “masqué” en son personnage, l nous parle et nous défie, au point où nous mêmes, assis dans les sièges devenons acteurs.




Nous pouvons accepter de dénoncer la violence sur scène, nous pouvons parler de thèmes difficiles, écouter des témoignages, se poser les bonnes questions mais il advient un moment, où on ne peut plus le tolérer. Lorsqu’on ne sait plus ce qui est vrai ou ce qui ne l’est pas, quand ca devient trop frappant, trop violent pour nous, on est plus neutres, on est témoins. Témoins d’un acte qui a eu place et qui pourrait se reproduire, témoins d’une violence qui nous dépasse. Il ne reste plus rien à imaginer, tout est là, cru, saignant. On a peur. Personne ne peut rester indifférent face à la violence.

Propos de Maria Krasik

 

 

Articles liés

« Les Misérables », une nouvelle production brillante au Théâtre du Châtelet
Spectacle
534 vues

« Les Misérables », une nouvelle production brillante au Théâtre du Châtelet

Plus de quarante ans après la première création en français, l’opéra d’Alain Boublil et de Claude-Michel Schönberg revient au Théâtre du Châtelet dans une nouvelle version et une mise en scène de Ladislas Chollat. Quarante interprètes dont des enfants...

“Moins que rien” : l’histoire de Johann Christian Woyzeck adaptée au Théâtre 14
Agenda
128 vues

“Moins que rien” : l’histoire de Johann Christian Woyzeck adaptée au Théâtre 14

L’histoire est inspirée de l’affaire de Johann Christian Woyzeck (1780-1824) à Leipzig, ancien soldat, accusé d’avoir poignardé par jalousie sa maîtresse, Johanna Christiane Woost, le 21 juin 1821. Condamné à mort, il a été exécuté le 27 août 1824....

La Scala présente “Les Parallèles”
Agenda
126 vues

La Scala présente “Les Parallèles”

Un soir, dans une ville sans nom, Elle et Lui se croisent sur le pas d’une porte. Elle est piquante et sexy. Lui est hypersensible et timide. Il se pourrait bien que ce soit une rencontre… Mais rien n’est moins sûr, tant ces deux-là sont maladroits dans leurs...