Découvertes circARAssiennes : rencontre avec Antoine Rigot de la compagnie “Les Colporteurs”
En 1996, Antoine et sa compagne Agathe décident de créer leur propre compagnie “Les Colporteurs”. Pour vivre l’aventure jusqu’au bout et présenter au plus juste leur vision du cirque, ils construisent le chapiteau de leurs rêves et y produisent leur tout premier spectacle Filao. Lancés dans les créations, ils décident ensuite de rejoindre la compagnie Les Nouveaux Nez pour faire naitre en 2008 La Cascade, Pôle National Cirque d’Auvergne Rhône-Alpes.
C’est une histoire mouvementée, riche et pleine de poésie qu’Antoine Rigot propose ici d’évoquer, envoûté par sa discipline qu’il chérit tant et qu’il défend avec ferveur.
Pourriez-vous nous parler de votre parcours jusqu’à la création de la compagnie ? Comment avez-vous débuté dans le monde du cirque ?
Ça commence à dater ! En 1976, je suis entré à l’école du cirque d’Annie Fratellini et Pierre Etaix, la première école de cirque qui s’est créée en 1974. L’idée était de permettre à des enfants qui n’étaient pas des enfants de la balle comme on dit, de pouvoir faire ce métier. A ce moment-là j’étais en province et je cherchais un travail artistique et physique, j’ai eu la chance d’entendre parler de cette école et j’y suis entré. Ce qui était intéressant dans la vision d’Annie Fratellini et Pierre Étaix, c’est qu’il fallait apprendre “tout le métier”. Pas de séparation entre artistique et technique, on faisait tout. On a appris à construire le matériel, à monter le chapiteau, à accrocher les projecteurs, à faire de l’acrobatie. Artistiquement on touchait aussi à tout puis on développait une spécialité, moi c’était l’acrobatie burlesque, Agathe s’entrainait sur son fil. Nous avons fait connaissance pendant une tournée du spectacle de l’école et l’aventure a commencé ! Nous avons quitté l’école en 1980, pour aller travailler dans une petite compagnie de cirque contemporain de l’époque, Le puit aux images, c’est là que nous avons créé notre premier numéro de fil. Ensuite il y a eu plusieurs expériences jusqu’à participer à la création du Cirque du Soleil en 1985. Agathe connaissait depuis longtemps ces “bateleurs” québécois avant qu’ils ne décident de créer leur cirque. Nous allions les voir de temps en temps au Québec. Ils faisaient des spectacles de rue, c’était des saltimbanques-musiciens. On leur avait dit, “si vous créez votre cirque un jour, appelez-nous on vous rejoint !”. On était en tournée en Allemagne dans le beau cirque Roncalli en 1983 et 1984 quand ils nous ont appelé pour nous dire qu’ils allaient créer ce “premier” cirque québécois en 1985. On est donc parti les rejoindre. On est resté là-bas quelques années ce fut une très chouette aventure !
De retour en France, on a été approché par Igor et Lily et on s’est retrouvé dans cette incroyable création de “La Volière Dromesko”, une volière géante pleine d’oiseaux faisant office de chapiteau, vraiment magnifique ! On est resté 4 ans avec eux, c’est à ce moment qu’on a découvert et compris l’aide possible de l’institution ; jusque-là nous étions artistes indépendants. En 1994 nous avons reçu le grand prix national du cirque pour notre travail de duo sur le fil ; puis on a compris que si on avait un projet personnel à développer, on serait sans doute soutenu pour le réaliser et on a décidé de créer la compagnie. C’était une autre époque à vrai dire !
Vous avez construit un chapiteau pour y jouer vos spectacles et qui forge l’identité de votre compagnie. Quelle est la volonté derrière le choix de cette structure plutôt que la représentation dans une salle ?
En fait on défend depuis toujours cette idée de chapiteau et d’itinérance qui est malheureusement devenue compliquée aujourd’hui. Après l’école, on s’est retrouvé à jouer très vite dans des chapiteaux. De là on a développé notre travail, l’itinérance et toute la vie qui va autour, qui est très forte émotionnellement. Cette énergie se ressent dans le spectacle, c’est ce qui donne aussi ce côté féérique à l’histoire ; quand on voit le cirque arriver et s’installer, les imaginaires se mettent en route, ça fait rêver. Le chapiteau est un espace de spectacle particulier, une arène où le public s’aperçoit de l’autre côté de la piste. On baigne tous dans une énergie très singulière. Et bien qu’une forme de cirque contemporaine se développe maintenant depuis plus 50 ans, souvent et encore aujourd’hui, l’idée traditionnelle du cirque, basé principalement sur la performance physique et la présence d’animaux, est encore très présente dans la tête des gens. Du coup, quand on propose nos spectacles sous chapiteau, une partie du public attiré pensent venir voir du cirque traditionnel et découvrent des spectacles différents, parfois engagés, cela les interpelle, ouvrent des réflexions. C’est très intéressant et ce sont de belles découvertes, souvent les gens nous disent : “Je n’aurais jamais pensé que ça pouvait être ça un spectacle de cirque !”.
Un nouveau public peut s’intéresser à ce qui se passe au théâtre qui a accueilli la compagnie et son chapiteau. C’est tout un cheminement dont malheureusement peu de responsables de structures ont conscience… Vu notre taille de chapiteau assez conséquente, 500 places, pour certains programmateurs le spectacle doit être consensuel et politiquement correcte, l’idée d’un cirque “familial” pour Noël en gros, parce que sinon “ça ne va pas plaire à mon public”. Ces responsables parlent à la place du public, le sous-estime, cette idée réductrice est une grosse erreur, le public en famille est prêt à découvrir toutes sortes de propositions, il aime se faire surprendre et en ce qui nous concerne, il est toujours à fond derrière nous !
Pour les chapiteaux de 200-300 places avec des équipes plus réduites, il peut y avoir plus de curiosité, de prise de risque et l’idée d’une proposition moins consensuelle devient plus acceptable.
Quels sujets abordez-vous dans vos spectacles ? Est-ce qu’il y a des thèmes que vous aimez bien traiter ?
Petit à petit, on a pris conscience que l’on s’était créé un espace de parole. On n’est pas là pour faire uniquement du divertissement, on interroge notre rapport à l’humain, à la société et son évolution, ce qu’il se passe autour de nous. L’humain se retrouve de plus en plus au centre de notre démarche, en partie par ma situation, après mon accident en 2000…
J’ai fait du fil et j’ai toujours défendu l’idée d’un clown différent de celui que les gens s’imaginent classiquement. C’était ça mon envie à l’école du cirque. Puis en mai 2000, tout s’est arrêté net en plongeant dans un mauvais endroit. Cet accident a un peu forcé les choses et m’a poussé un peu plus vite que prévu dans l’écriture et la mise en scène des spectacles. Même si on les écrivait déjà, nous faisions appel à des metteurs en scènes extérieurs car nous étions d’abords acteurs sur la piste… La question de l’humain s’est donc mise au centre, puis celle du respect du vivant en général et celui de notre planète. On ne cherche pas forcement à faire passer de messages précis, on travaille avant tout sur des matières, et les gens peuvent se poser des questions si certaines situations ou images les interpellent. Mais notre cirque est aussi un “acte” poétique qui peut se suffire à lui-même. C’est une histoire de sensibilité et de références personnelles qui appartient aux uns et aux autres.
Dans nos spectacles, le fil a toujours eu une place de choix. Il détient une grande force symbolique de par la fragilité qu’il évoque. Dès qu’on est à deux sur un fil, on ressent cette fragilité, une attention particulière devient palpable et se met à raconter des choses qui nous échappent, qui chatouillent notre sensibilité. J’ai partagé le fil avec Agathe pendant 20 ans, Agathe continue à danser sur le fil aujourd’hui, c’est sûr qu’il a pris une place très importante dans notre histoire artistique, mais on aime bien aussi se mélanger avec les autres disciplines.
En 2016/2017, à l’occasion du 500ème anniversaire du peintre Jérôme Bosch, vous avez créé “Sous la toile” de Jheronimus. Comment s’est passé ce temps de création ?
Une jolie histoire… Nous aimons beaucoup ce peintre, on peut dire que Jérôme Bosch était dans nos tiroirs d’envie de spectacle ! Nous trouvions tout un univers circassien dans l’observation de ses tableaux. C’est aussi très physique, très sur le corps et en même temps sa peinture interpelle et soulève des questionnements et on y découvre de nombreux symboles. Il y a énormément de matières !
Ce spectacle est à la base une commande d’un festival qui se déroule en Hollande, juste à côté de la ville où Jérôme Bosch vécu lui-même. Nous avons choisi le triptyque “Le Jardin des délices” comme support de travail parce qu’il y a déjà une mise en scène écrite à travers cette œuvre. Nous y traversons la création du monde, l’idée d’une vie harmonieuse de plaisir et de partage possible entre animaux et humains sur cette magnifique planète. Puis l’enfer, la terre mise à feu et à sang comme une réalité de ce que les humains en font. Il y a dans cette œuvre une résonance directe avec notre comportement vis-à-vis du monde et des humains qui l’habitent.
Nous avons traversé l’œuvre telle une divagation visuelle et acrobatique, une forme qui s’en inspire très librement, tout en restant très humble face à l’hallucination de créativité de ce retable. Nous avons également travaillé avec une dramaturge, nous aimons ces rencontres qui nous permettent d’interagir dans le travail et nourrir nos créations de dramaturgie et de théâtralité.
Pouvez-vous nous parler de votre prochaine création ?
“Cœur Sauvage“ sera un travail sur la perception et l’écoute des vibrations entre les corps. Une approche de travail animale et instinctive pour parler de sujets essentiels et communs aux animaux et aux humains. Les questions de territoires par exemple, la survie et la protection de l’espèce, les parades amoureuses, ou encore l’empathie… Nous construisons un espace totalement suspendu, accroché à un maillage fixé au chapiteau. Comme un monde que l’on pourra observer de l’extérieur et dans lequel on suivra des parcours, des relations, des rencontres. Ce sera aussi un travail très musical et nous espérons, plein d’humour ! Comme à notre habitude, la musique sera très présente, originale et composée. Nous développerons un principe expérimenté dans notre dernière forme courte pour l’espace public, “Méandres“. Nous avions savamment placé des capteurs sur la structure et quand les corps des artistes se frottent sur le mât ou que les pieds dansent sur le fil, toutes sortes de sons apparaissent. Le compositeur récupère ces sons en direct pour créer de la musique. Nous voulons développer ce procédé sur toute la scénographie de “Cœurs Sauvages“ et ces vibrations seront le reflet des sensations intérieures, des ressentis émotionnels des acteurs. D’une certaine manière les artistes écriront la musique de leur danse en même temps qu’elles ou ils l’interprètent. Cela crée une double écriture entre les acrobates et les musiciens. Un musicien électro-acousticien récupèrera les sons des vibrations, les mixera avec le violon et la guitare joués en direct, voilà le défi musical de ce prochain spectacle, c’est assez passionnant.
Vous avez aussi fait récemment un spectacle adressé plutôt aux enfants, intitulé “Toyo !” un duo interprèté par un contorsionniste et une musicienne. Quelle est l’histoire de cette création ?
Avec Gilles, le contorsionniste, on a commencé ensemble à l’école du cirque. Lui a plutôt fait son parcours dans le cirque traditionnel, c’est sa passion et il a une rigueur de travail incroyable ! Après l’école du cirque il n’a pas arrêté de tourner dans des cirques un peu partout sur la planète. On s’est retrouvé il y a quelques années et il nous a rejoint avec son trapèze pour participer au spectacle “Sous la toile de Jheronimus“. C’est par ce spectacle qu’on a eu l’idée de “Toyo !“. C’est vraiment quelque chose qui s’est fait spontanément.
En utilisant son agilité et sa souplesse, on a créé avec Gilles des numéros de contorsion en s’inspirant de toutes sorte de petits monstres que l’on trouve dans le tableau de Jérôme Bosch. Il faisait beaucoup rire, particulièrement les enfants et c’est parti de là. C’est génial parce que Gilles était toujours à 10 mètres de haut sur son trapèze, et avait un contact plutôt lointain au public. Là tout d’un coup, il se retrouve à faire son spectacle tout en proximité, une découverte pour lui qu’il apprécie beaucoup. C’est épatant de voir cet homme, devenu une sorte de sage hors d’âge, se plier en deux dans un tuyau. La musique live, a été composée et est interprétée en direct, percussions et violon par notre fille Coline qui jouait aussi dans “Sous la toile de Jeronimus“. Une belle complicité humaine et artistique s’est développée entre eux et “Toyo !“ est devenu un petit bijou que tout le monde adore !
Avec la compagnie Les Nouveaux Nez, vous avez participé à l’élaboration d’un projet fou, celui de “La Cascade”, Pôle National Cirque d’Ardèche-Auvergne Rhône-Alpes. Pouvez-vous en dire quelques mots ?
Avant que “La Cascade” n’existe, on s’entrainait dans l’ancienne menuiserie du père d’Alain, un des membres de la compagnie “Les Nouveaux Nez” dans une petite ville Ardéchoise. Ils avaient le projet de créer un espace de travail dédié au cirque. Avec sa compagnie, ça faisait déjà cinq ans qu’ils travaillaient sur ce projet mais avaient du mal à le faire éclore. On les a rejoints à ce moment-là et la réunion des deux compagnies a boosté l’histoire et lancé définitivement le projet.
Dix ans encore ce sont écoulé avant que le projet ne soit réalisé. Nous avons participé à la conception du lieu et nous nous sommes particulièrement impliqués sur ce qu’on a appelé “le terrain de jeu” ; l’espace le plus volumineux où on peut faire un peu tout ce qu’on veut et dans tous les sens concernant les équipements de cirque. Aujourd’hui la structure fonctionne avec une équipe autour d’Alain Reynaud et sans être directement impliqués dans le fonctionnement de la maison, nous sommes restés compagnie complice et je dois dire que nous sommes très heureux d’avoir participé à faire sortir de terre ce lieu où tout le monde se sent bien pour travailler, s’entrainer et créer des spectacles !
Après une longue période d’incertitudes et d’annulations, la compagnie reprend la diffusion de ses spectacles pour l’espace public avec “Méandres et Evohé. L’Échappée du Coryphée“, une forme courte a également été créée ce 23 juillet. Leur chapiteau sera également de retour pour accueillir la résidence de “Coeurs Sauvages“ qui sera créée au printemps 2022. Il y sera question d’animalité humaine, d’écoute et du lien avec le vivant qui se côtoient sur notre jolie planète
Pour l’agenda des tournées c’est ici, et pour en savoir plus sur la compagnie, c’est ici !
Propos recueillis par Zoé Količ
Articles liés
La 28e édition du festival “Jazz au fil de l’Oise” revient le 21 septembre
Cette 28e édition automnale du festival Jazz au fil de l’Oise 2024 prendra place dans le Val d’Oise du 21 septembre au 15 décembre 2024. Une édition marquée par les Olympiades pour lesquelles dix structures culturelles estampillées “Val d’Oise-Terre...
Rencontre avec Térez Montcalm, la plus rock des chanteuses de jazz
Mêlant avec grâce rock, folk et jazz, Térez Montcalm, artiste à la voix fêlée et sensuelle, fait partie du cercle très fermé des chanteuses qui possèdent une signature vocale. En d’autres mots, sa voix rocailleuse est reconnaissable dès les...
Les Épis Noirs présentent “Britannicus” : du théâtre musical, rock, populaire et déjanté au Lucernaire
Dans une troupe de théâtre ambulant, un “Monsieur Loyal” tonitruant mène ses comédiens à la cravache pour vous raconter la véritable, et non moins monstrueuse, histoire de Britannicus. Tout se passe en un seul jour à Rome. En mai...